Les femmes de Pompidou : elles@centrepompidou

Publié le 29 août 2009 par Jérémy Dumont

Photo : annette messager

Si, comme le disait Aragon, «  la femme est l'avenir de l'homme », alors le Centre Pompidou est résolument tourné vers le futur. En tout cas dans la partie des collections permanentes consacrées à l'art d'après-guerre. En effet, le musée a pris le parti de montrer, pendant un an, au quatrième étage du bâtiment de Rogers et Piano, exclusivement des artistes de sexe féminin. Quatre cents oeuvres pour un nouvel accrochage baptisé « Elles ».

Le propos peut paraître absurde ou tout du moins frustrant. Pourquoi se priver pendant douze mois de la création de la moitié du genre humain ? Pourquoi se priver du plaisir de voir de grands jalons de l'art contemporain tels que Warhol, Pollock, Raysse, Klein et autres, qui figurent pourtant à l'inventaire des collections du musée national d'Art moderne ? Tout simplement parce que, désormais, par manque de place, les collections pléthoriques sont présentées tous les douze mois sous forme thématique et que ce thème-là est pertinent dans la société actuelle. C'est l'argument de Camille Morineau, conservatrice et maître d'oeuvre de l'opération : « Le sujet des femmes et de l'art a été exploré particulièrement dans le monde anglo-saxon, sous différents aspects. Rien de tel n'avait été fait jusque-là en France. Notre objectif est de sortir des clichés relatifs à la production des femmes. Il ne s'agit pas d'un art mignon ou décoratif. Elles sont assez nombreuses et assez radicales pour représenterà elles seules l'art d'aujourd'hui. »

Audace

Mais l'exposé a pour limite les collections du musée. Et, dans ce cadre-là, on peut ressentir des frustrations. Ainsi, on ne peut pas nier l'importance de la production, des années 1980 jusqu'à aujourd'hui, de Cindy Sherman. L'artiste et photographe américaine, a décliné toute une imagerie des différents stéréotypes féminins pour mieux les dénoncer. Pourtant, dans « Elles », on ne verra qu'une seule oeuvre de Cindy Sherman. Pas assez pour mesurer l'ampleur de son talent.

Néanmoins, une fois acceptées les règles limitatives de ce parti pris, l'exposition permet de nombreuses découvertes. A commencer par la manière dont les femmes osent. Elles peuvent par exemple avoir un traitement cru sur la question du sexe. Magdanela Abakanowicz (née en 1930) a conçu dans le sisal une espèce de gouffre de 125 centimètres de hauteur qui représente un utérus géant. L'Américaine méconnue Betty Tompkins représente depuis 1969 ce qu'elle appelle explicitement des « fuck paintings », des gros plans peints de rapports sexuels. Dans la catégorie sadomaso, il y a l'hypnotique vidéo de l'Israélienne née en 1969 Sigalit Landau. Elle a filmé une femme nue sur une plage, dont on ne perçoit que le buste et qui fait tourner autour de son ventre un cerceau de fils barbelé. Plus loin qu'une simple question sexuelle, cette danse du hula hoop d'un genre spécial fait penser à la guerre qui sévit dans le pays.

Douceur 

Si le domaine de la maison a longtemps été le pré carré de la gent féminine, ici il revêt un aspect inattendu. Chez Dorothea Tanning, née en 1910 -  elle fut la dernière épouse de Max Ernst -, la chambre est remplie de monstres difformes qui rappellent quelquefois le corps humain. La Française très en vue Tatiana Trouvé (née en 1968) imagine des mises en scène où les objets ne sont pas à l'échelle ordinaire. Très onirique : la Suissesse Pilpilotti Rist (née en 1962) a conçu un univers fait de projections vidéo, de lumières et de musiques électroniques qui ressemble à un songe. « Avec cette oeuvre, je désire susciter un éclat de conscience dans l'esprit des spectateurs, je veux leur adresser de la douceur. » Quel artiste homme pourrait dire qu'il veut adresser de la douceur au monde ?

Enfin, au-delà de la pertinence du discours poli-tique de cette exposition, « Elles » met en exergue des chefs-d'oeuvre. L'une des pièces les plus frappantes est une peinture abstraite de 7,2 mètres de long de l'Américaine qui vivait en France Joan Mitchell (1926-1992). « Chasse interdite » est une composition dans les tons de bleu d'une force et d'une harmonie exceptionnelles. En fait, la peinture de Joan Mitchell n'a pas de sexe.

JUDITH BENHAMOU-HUET, Les Echos