La coopération entre le Canada et les Etats-Unis, instituée par le Traité des eaux limitrophes internationales de 1909 créant la Commission mixte internationale (CMI), est considérée, encore aujourd’hui, comme un modèle de gestion raisonnée des eaux limitrophes. Malgré ces précautions, il se pourrait que l’eau, « or bleu » du XXIème siècle, envenime les relations entre ces deux pays, dont les citoyens comptent parmi les plus gros consommateurs.
La raréfaction mondiale de l’eau liée au réchauffement climatique, aux pratiques industrielles et agricoles et au poids de la démographie n’épargne pas les Etats-Unis. La demande intérieure d’eau douce s’intensifie dans les zones ensoleillées comme la Californie, la Floride et les autres Etats de la Sun Belt, tandis que les ressources s’amenuisent. L’aquifère de l’Ogallala, la plus grande étendue d’eau douce des Etats-Unis se tarit, le Colorado, après plusieurs barrages et canaux de dérivation, n’atteint pratiquement plus la mer de Cortez. Les zones assoiffées ont, en outre, essuyé des refus d’Etats américains pour le transfert d’eau.
Dans ce contexte, c’est tout naturellement que les Etats-Unis lorgnent sur leur voisin du nord qui concentrerait 9 % des ressources mondiales d’eau renouvelable pour moins de 1 % de la population mondiale. Mentionnons dès maintenant que certains Canadiens ne voient aucune objection à l’exportation massive d’eau, qui pourrait représenter une importante manne financière. Selon le l’Institut Économique de Montréal l’exportation de 10 % des ressources d’eau douce renouvelable de la province du Québec rapporterait 6,5 milliards de dollars canadiens par an. Toutefois, le Canada veille à ne pas se trouver dans l’obligation juridique de fournir de l’eau. Raison pour laquelle il peine à reconnaître l’accès à l’eau potable comme un droit de l’homme fondamental. La question se pose alors de savoir par quel moyen les Etats-Unis vont parvenir à s’approprier l’eau du Canada.
Ces deux pays ayant des économies fortement intégrées, le conflit armé n’est, pour l’heure, pas envisagé. Selon la théorie exprimée par Thomas F.Homer-Dixon, dans ce cas on parlera plus volontiers de « probabilité de conflits en matière de sécurité environnementale ». Les conflits éventuels liés à l’eau entre le Canada et les Etats-Unis seraient, a priori, réglés par négociations plutôt que par confrontations. La brèche par laquelle les Etats-Unis pourraient s’engouffrer afin d’obtenir le prélèvement massif d’eau canadienne serait l’Accord de Libre Echange Nord Américain (ALENA), signé par le Canada, les Etats-Unis et le Mexique en 1992. Les trois Etats signataires ont pourtant affirmé conjointement dès 1993 que le traité ne s’appliquerait pas à l’eau dans son état naturel, parce qu’à cette étape, l’eau ne saurait être considérée comme une marchandise au sens de l’accord. Face à une opinion publique canadienne rétive à l’idée d’abreuver les États-Unis, le gouvernement fédéral canadien a toujours affirmé que l’ALENA ne l’y obligerait pas. Il a été conforté dans son opinion par la CMI qui a déclaré dans un rapport de 2000 sur la protection des eaux des Grands Lacs « qu’il semblerait peu vraisemblable que l’eau dans son état naturel soit visée ».
Mais certains critiques, parmi lesquels des organisations citoyennes (comme le Conseil des Canadiens, hostile au libre échange, ou le Polaris Institute) ne sont pas du même avis. Ces organisations continuent fermement à affirmer que l’eau, dans son état naturel, est visée par l’ALENA. Ainsi l’accord autoriserait le gouvernement américain et les firmes qu’il soutient à revendiquer les ressources d’eau douce canadienne. En vertu de la Loi sur l’accès à l’information, le très actif Conseil des Canadiens s’est procuré un rapport d’Environnement Canada de décembre 2007 qui contredit le gouvernement canadien. Il met en garde contre l’augmentation des risques de conflits judiciaires pour l’attribution de l’eau entre les provinces et entre le Canada et les Etats-Unis.
Par ailleurs, les rencontres qui ont eu lieu à huis clos dans le cadre du « Projet sur l’avenir de l’Amérique du Nord 2025 » ajoutent encore à leur inquiétude, dans la mesure où la question des transferts d’eau y est à l’ordre du jour et que ce projet est notamment porté par le Center for Strategic and International Studies, think-tank implanté à Washington. Pour ces critiques, la souveraineté du Canada sur son eau ne peut être protégée qu’à deux conditions. La première est qu’une loi fédérale interdise l’exportation massive d’eau. Cette revendication parait vaine puisque d’une part, en droit international public, un traité est supérieur à la loi nationale, et que d’autre part, il appartient aux provinces de réglementer en la matière. La seconde passe par la renégociation de l’ALENA pour exclure l’eau à l’état naturel des obligations en découlant. La victoire du candidat démocrate, Barack Obama, à l’élection présidentielle américaine pourrait permettre la satisfaction d’une de ces requêtes. Dès les primaires, en effet, le futur président des Etats-Unis s’était déclaré favorable à une renégociation de l’ALENA.
AC