La crise mondiale accentue-t-elle les tensions économiques entre puissances ? Rien ne le démontre en apparence mais plusieurs signaux relevés ces derniers mois sur le net semblent indiquer des crispations dans les relations économiques entre pays. Les langues se délient. En Europe, c’est l’Allemagne qui donne l’exemple en rendant public la face immergée de l’iceberg dans la compétition économique. La communication officielle de l’administration allemande est de plus en plus explicite sur le sujet et est relayée par les médias (lire à ce propos le dossier de sept pages publié en juillet 2009 par le mensuel allemand EURO spécialiste de l’économie et équivalent du magazine Challenges en France). Selon Walter Opfermann, membre de l’office de contre espionnage du Land de Bade-Wütemberg, l’Allemagne serait la victime d’un nombre de plus en plus grand d’opérations d’espionnage qui coûteraient chaque année aux entreprises allemandes 50 milliards d’euros et trente mille emplois. Les secteurs les plus exposés sont les industries traditionnelles comme l’automobile, la chimie, les machines-outils, les communications ainsi que les industries de technologies de l’information. Beaucoup plus explicite que ses collègues français, le représentant du Verfassungschutz vise en particulier la Chine et la Russie.
Concernant la Chine, les menaces sont multiples, l’espionnage chinois ratisse large et utilise des méthodes de guerre froide en pillant résolument tout ce qu’il peut. Opfermann cite le cas d’un ingénieur chinois employé par une entreprise située dans la région du lac de Constance qui a fait la copie exacte de la machine sur laquelle il était en train de travailler pour la transmettre à une entreprise chinoise. Il a quitté l’Allemagne après son forfait. Mais la menace la plus dangereuse viendrait d’Internet. Il semble de plus en plus difficile de travailler avec la Chine en passant par ce système de communication car les Chinois truffent leurs fichiers joints de chevaux de Troie afin de s’infiltrer dans les réseaux informatiques des entreprises et récupérer de l’information technique et commerciale. Selon le syndicat interprofessionnel des experts conseils allemands, 20 % des entreprises allemandes seraient ainsi affectées par ces opérations d’espionnage industriel. Le responsable allemand du contre espionnage signale que la différence entre la Chine et la Russie est le nombre d’agents employés. Les Chinois déploient à l’étranger des effectifs beaucoup plus importants que les Russes. Cette quête systématique du renseignement rappelle l’effort déployé par le Japon pour rattraper son retard industriel à la fin du XIXème siècle. La différence entre le modèle japonais et chinois est justement la rapidité d’exploitation de l’information recueillie. Les technologies de l’information et la mutation des systèmes de production donnent à la Chine une capacité de traitement et de transfert de connaissances vers son infrastructure industrielle nettement plus rapide que le Japon lors des deux siècles précédents.
De son côté, la Chine ne reste pas inactive lorsque des puissances rivales tentent de limiter ses appétits économiques. L’affaire Rio Tinto est un excellent exemple de la manière dont les Chinois peuvent réagir lorsqu’on les empêche d’atteindre un objectif. Rappelons les faits. Le 5 juillet dernier, la police chinoise procédait à l’arrestation de Stern Hu, directeur du groupe minier anglo-australien Rio Tinto à Shanghai et trois de ses collaborateurs pour « espionnage et vol de secrets d’Etat », alors qu’ils participaient aux négociations annuelles sur le prix du minerai de fer. Selon le quotidien officiel China Daily, ils auraient corrompu les employés de seize grands aciéristes chinois pour obtenir des renseignements sur les besoins de la Chine en minerai de fer, matière première dans la production de l’acier. En 2008, les usines sidérurgiques chinoises ont importé d’Australie plus de la moitié des 450 millions de tonnes de minerai de fer provenant de l’étranger. Pour limiter cette dépendance et dans le but de faire baisser le prix du fer, Pékin recherche depuis plusieurs années à prendre des parts dans des groupes occidentaux et australiens. C’est le cas de l’entreprise chinoise Chinalco qui a cherché à augmenter sa part dans le capital de l’australien Rio Tinto. Cette tentative avait aussi pour objectif de bloquer le rapprochement entre les deux grands du secteur, Rio Tinto et le numéro un mondial de la mine et des métaux, l’anglo-australien BHP Billiton. Cet échec a été vécu à Pékin comme un véritable camouflet et la riposte ne s’est pas faîte attendre. Rien n’interdit de penser que l’affaire de l’arrestation des cadres de Rio Tinto à Shanghai ait été montée de toutes pièces. Dans ce dossier, la Chine a voulu montré aux autorités australiennes qu’elle avait des capacités de rétorsion pour défendre ses intérêts de puissance. Aux dernières nouvelles, Rio Tinto aurait décidé d’évacuer son personnel travaillant en Chine.
De l’autre côté de l’Atlantique, le président Barack Obama semble revenir sur son credo antiprotectionniste prononcé aux lendemains de son élection. En juin 2009, le président américain a annoncé une réforme fiscale visant à récupérer 210 milliards de dollars notamment en taxant les entreprises qui délocalisent une partie de l’emploi à l’étranger. L’Inde est le premier partenaire des Etats-Unis visé dans son application. Le président américain estime qu’il est anormal « de payer moins d’impôt quand on crée un emploi à Bangalore en Inde qu’à Buffalo dans l’Etat de New York ». Des multinationales américaines emblématiques comme IBM ou General Electric emploient des dizaines de milliers de citoyens indiens. Il en est de même pour de nombreuses banques américaines qui délocalisent une partie de leurs services clients dans le sous continent indien. Ce revirement de position de la Maison Blanche souligne une fois de plus les contradictions entre les pressions concurrentielles de l’économie de marché et les impératifs de préservation de la puissance d’un territoire comme les Etats-Unis d’Amérique. Les affrontements économiques à visage découvert dont on relève les traces sur Internet, ne sont que des péripéties passagères. Les mouvements de fond qui vont affecter la réalité conflictuelle du monde à venir sont d’une toute autre amplitude.
Une fois de plus, on mesure le décalage entre la théorie et la pratique. Gageons que les prix Nobel d’économie tels que Robert C. Merton, professeur à Harvard et défenseur de la légitimité du système financier qui est à l’origine de la crise actuelle tombent enfin dans les oubliettes de l’Histoire. On retire des médailles à des champions olympiques pour cause de dopage, il est regrettable qu’on ne retire pas des prix à des Nobel pour cause de crétinisme notoire ou d’affabulation théorique démontrés par les faits.
Christian Harbulot
Pour aller plus loin
- The New York Times, In French Inquiry, a Glimpse at Corporate Spying, 31 juillet 2009