Voilà, c’est fini. C’est fait. 2012 se mangera à la sauce primaires ouvertes « et populaires ». Tout va bien : les gentils ont gagné, donc en fait tout le monde a gagné, puisque tout le monde était devenu gentil cette semaine, même Laurent Fabius. Zabou, Azouz Begag et Michel Rocard sont d’accord (on attend encore la réponse de Joey Starr, Jean-Hugues Anglade et Fabrice Tiozzo). C’est la victoire des adhérents à 20 euros. Et, cerise sur le gâteau, notre camarade Montebourg nous fera l’honneur de rester parmi nous.
Tout le monde il est donc beau, dans le meilleur des mondes.
Alors d’où vient que malgré tout, et quoique partisan de ce système à titre personnel, je n’arrive pas à me réjouir de ce beau consensus ?
Peut-être parce que pendant qu’on parle de ça, on ne parle pas d’autre chose. Donc quand on ne parle QUE de ça, on ne parle plus de rien. Et je ne pense pas à la stérile opposition entre « le procédural » et « les idées ». Non, des questions organisationnelles, il y en avait d’autres qu’il fallait traiter en urgence, toutes celles qui avaient trait à la « rénovation », ce vilain mot qui n’attire plus que des sourires ironiques ou désabusés. Au hasard, comment plus impliquer les militants, comment leur donner plus de pouvoir, comment les retenir, comment les attirer, sans attendre le moment de la primaire, où on les enverra gaiement, de porte-à-porte en réunions tupperware, expliquer aux Français qu’il faut s’inscrire sur les listes électorales du scrutin. A force de se projeter vers 2012, on oublie presque qu’il faut tenir jusque là. Allons même un peu plus loin : on peut se demander si l’empressement de tous les dirigeants socialistes à mettre au centre des débats une question à proprement parler externe au parti (des primaires de toute la gauche) n’est pas la traduction inconsciente d’une volonté de ne pas, ou plus toucher à la vie interne du PS, jugée peut-être déjà moribond, ou irréformable. Ne nous y trompons pas : au bout des projets de rassemblement progressiste et de primaires pointe la disparition du PS, du moins sous sa forme actuelle. Ce n’est peut-être pas un mal ; mais encore une fois, on fait quoi avant ?
Peut-être aussi que je peine à me réjouir quand je vois comment les primaires, sujet citoyen et militant s’il en est, sont progressivement devenues un enjeu marketing, au service du positionnement interne et des intérêts bien sentis des uns et des autres. Il faut ici rendre hommage à Pierre Moscovici qui, le premier, avait eu l’intuition du bon coup à jouer. Mais avec un succès et un culot moindres que la fondation Terra Nova qui, après avoir passé un an à occuper le terrain et tisser sa toile d’araignée, nettoyant le (maigre) champ des think tanks de gauche par une politique d’omniprésence et de communication agressive, a entrepris cette semaine de lancer une pétition parlant au nom des « citoyens de gauche » – au moment même où son président rejoignait une commission d’ouverture. Attirail web « participatif », Facebook, Twitter, guide pratique, on n’attend plus que les tee-shirts et les badges, façon caravane du tour de France. Il faut se rendre à l’évidence : plus qu’une question politique – ou plus exactement moins qu’une question politique – les primaires sont devenues un business. Au sens propre : car pour organiser un si gigantesque système, jamais vu en France, il y a fort à parier que les partis existants, eu égard à leur présente incurie, seront heureux de sous-traiter la logistique à des prestataires extérieurs se targuant de disposer de l’ingénierie politique nécessaire …
Amertume toujours quand je vois comment on s’est concentré ces dernières semaines, dans un trépignement hystérique, sur le « oui aux primaires / non aux primaires » sans s’interroger plus sur le comment, le pourquoi, la stratégie d’ensemble. Les primaires ne sont pas une fin en soi, un baume Synthol qui réglerait tous nos problèmes une fois validées sur leur principe. Personne n’a d’ailleurs une idée très claire de leur forme, et de la réponse à apporter à des questions aussi simples que : comment articuler l’élaboration collective d’un projet avec un système où chaque candidat part au front avec son projet ?
On s’apercevra vite de cela, quand tout le monde sera dégrisé, peut-être dès ce lundi. Alors il faudra bien revenir aux sujets qui fâchent (périmètre, participants), et surtout à ceux qui ne fâchent personne parce que tout le monde, au fond, s’en moque, mais qui me semblent fondamentaux – en particulier le système de production du programme socialiste.
Martine Aubry, qui semble avoir perdu un peu plus encore en autorité en cédant sous la pression collective a désormais une grande responsabilité. Celle de reprendre la main sur le processus, de ne pas le laisser être privatisé par tels ou tels intérêts, et de le rendre aux militants. Quel autre acte fondateur peut-on imaginer, pour des primaires censées privilégier « l’empowerment » des militants, qu’une consultation de ceux-ci pour en élaborer les contours précis ? Une élaboration collective, et pas un « choix » entre deux solutions toutes faites, pensées et conçues en cercle restreint.
Pour être tout à fait clair, je termine en citant l’article 6.9 des statuts du parti socialiste, curieusement très peu mis en application : « Conférence militante. Une Conférence militante est réunie au moins une fois par an par le Conseil national, qui en fixe l’ordre du jour. Elle a pour objet de permettre aux adhérents de se prononcer sur des questions d’actualité politique nationale ou internationale. Une question est inscrite à l’ordre du jour de la Conférence militante soit sur proposition du Bureau national, soit lorsque 5 000 adhérents répartis dans au moins 20 fédérations avec un maximum de 500 signatures et un minimum de 25 signatures par fédération en font la demande. La décision de convocation d’une Conférence militante relève du Conseil national, qui fixe les modalités de désignation et l’effectif de ses délégués, ainsi que les modalités de discussion collective. ».
Au Conseil National, en somme, de prendre ses responsabilités.
Romain Pigenel