Jean Mambrino (né en 1923) est poète et jésuite. Ces premières précisions pour souligner que Jean Mambrino est un de ceux qui se sont employés à peaufiner leur traduction du « jésuite bondissant » Gerard Manley Hopkins [1], j’en connais trois, avec pour titre Grandeur de Dieu (c’est celui d’un poème de GMH, ça ne vous rappelle rien gmh ? Jude Stéfan a su débusquer une entreprise poétique aux initiales identiques : Garde-manche hypocrite) chez Granit, une reprise chez NOUS, enfin une récente chez Arfuyen, sans compter les traductions isolées de poèmes dans la revue Études, où Jean Mambrino a été un des plus brillants et des plus fins chroniqueurs de théâtre que je connaisse (je subodore que le jeune Koltès qui l’eut pour professeur à Metz en a reçu quelques lumières : quelle plus belle image (revisitée) du combat spirituel (hors de toute confessionnalité) que celle de La Solitudedans les champs de coton !) et il est bien dommage que ces chroniques aient été de fait réservées à un nombre restreint de lecteurs.
Dans un article intitulé Le topographe et l’apiculteur (Le Monde, 24.11.00), Pierre Lepape opposant deux types de critique disait de Jean Mambrino :
Jean Mambrino est aux antipodes de Franco Moretti. Aux antipodes aussi de la critique de mode. Il est écrivain. La critique des écrivains, de Baudelaire à Borges et de Gide à Butor, a souvent consolé des autres. Mambrino est poète. Il est aussi jésuite, chroniqueur littéraire depuis plus de trente ans de la revue Études. Mais il n'a pas pris les fâcheuses habitudes de ces critiques catholiques qui sortent Dieu de leur manche dès que les arguments leur manquent. Dieu, chez lui, est une source de lumière, pas un principe explicatif.
Utiles précisions. Dès le début de sa correspondance avec René Char, publiée par la revue Conférence, Jean Mambrino se montre tout entier poète, et ce sera l’histoire d’une longue amitié. D’autre part, si l’œuvre est parfaitement reconnue (dans un cercle qui mériterait d’être plus large), cf. prix Cardinal Grente, et prix Nathan Katz, c’est précisément par l’amitié et la reconnaissance de ses pairs qu’elle a cheminé (c’est Jules Supervielle qui a donné les poèmes à la publication). Quant à l’activité de lecteur, citons encore Pierre Lepape [2]:
Mambrino cite Bachelard qui faisait de la rêverie une voie royale de la connaissance : « J'essaierai d'aller, si possible, à l'origine de la joie de parler. » Le critique complète : « La littérature n'est pas un cri, ni un jeu, mais une expédition vers la vérité. » Ces deux propositions déterminent une méthode de lecture et une famille de livres. La famille de Mambrino est vaste et multiple. On y trouve Virginia Woolf et Truman Capote, Henry Miller et Ossip Mandelstam, René Char et Marguerite Duras, J.M.G. Le Clézio et Hector Bianciotti, une anthologie de haïku et la Storia d'Elsa Morante. Les grands romans marins de Joseph Conrad y côtoient les méditations critiques de Julien Gracq, les contes nordiques de la baronne Blixen y riment avec quelques pages du journal de Julien Green.
Ceci posé, la couverture du livre : Descente de croix au flambeau (Rembrandt), l’oxymore de son titre précisé par l’épigraphe du livre : « Ma compagne,/ c’est la Ténèbre », clausule du psaume 87 (88), psaume désespéré s’il en est ( bien davantage que le psaume 22 qui se termine en cri de délivrance) , la quatrième de couverture :
On ne peut plus partir, car le vrai c'est le faux,
et notre pays a la couleur du mensonge.
La captivante toile d'araignée des songes,
nous fait goûter combien tout ce néant est beau.
font que les poèmes semblent s’inscrire au registre biblique des lamentations (de ténèbres précisément).
Effectivement ces traits sont particulièrement présents dans ce recueil comportant sept (comme les sept paroles ?) ensembles de dix poèmes de facture classique mais néanmoins diversifiée, plus hardie qu’il ne peut paraître au premier abord (il y a loin de la performance actuelle, ou des expérimentations contemporaines) la forme verset correspondant plus particulièrement au questionnement sur le monde tel qu’il ne va pas …
On retiendra „in dürftiger Zeit“ :
en traversant une espérance inexplicable,
un pays de bonté au bord d’un autre monde,
par lequel le nôtre, chaque jour, est sauvé.
et on demandera au lecteur peu au fait de la littérature spirituelle, l’oreille qui lui permette d’entendre la voix de fin silence qui commande ces lignes, celle dans la quelle viennent se fondre mythèmes, théologèmes et philosophèmes comme aime à le dire Michel Deguy dans l’unité du poème, le recueil n’en formant qu’un en définitive, nous répétant qu’où il y a de l’homme, il y a du poème.
Dans un autre registre, qui atteste aussi l’inexplicable espérance, Arfuyen publie un livre qui met en lumière un épisode peu connu de la Résistance alsacienne : Marcel Weinum et la Main Noire, où l’on voit un jeune garçon de 16 ans mobiliser une trentaine de camarades de son âge pour combattre l’hitlérisme et où ils laisseront la vie. Un document exceptionnel.
©Ronald Klapka
[1] Patrick Kéchichian, à qui nous empruntons l’expression jésuite bondissant indiquait : c'est Pierre Leyris le premier qui s'affronta, en 1957 et 1964, à la traduction de Hopkins (reprise en un volume au Seuil en 1980 ; réédition points-poésie, 2007). Jean Mambrino (Granit, 1980) et Jean-Georges Ritz (Aubier, 1980, avec une substantielle introduction) Louis-René des Forêts avec Hélène Bokanowski (Bibliothèque 10/18, 1976, épuisé) s'essayèrent ensuite à cet exercice de très haute voltige.
Ajoutons celle de René Gallet, Bruno Gaurier, Fabien Vasseur.
[2] A propos de Lire comme on se souvient (Phébus, 2000)