Les socialistes sont incorrigibles. Alors qu’ils ne sont même pas encore officiellement « rentrés », ils ont déjà trouvé un nouveau sujet de division : les alliances électorales. « Nouveau » n’est bien évidemment pas le terme qui convient tant la question est ancienne et récurrente. Mais ses contours se redessinent désormais rapidement, à mesure qu’approchent les échéances électorales de 2010 et surtout 2012.
La brochette de stars réunies le 22 août dernier par Vincent Peillon à l’occasion de l’université d’été de son courant a impressionné par sa richesse. Du communiste Robert Hue à la modemienne Marielle de Sarnez, elle incluait également le récent « vainqueur » des européennes, Daniel Cohn-Bendit, la radicale de gauche Christiane Taubira et bien sûr les chefs socialistes du courant organisateur. L’essentiel, comme souvent dans ces occasions, était dans l’image : seule une alliance allant des communistes au Modem peut gagner les élections à venir. Et, comme toujours, d’autres socialistes ont immédiatement répliqué que le Modem ne pouvait pas faire partie d’une telle alliance qui devait se limiter à la gauche.
S’il ne s’agissait que de tactique électorale, le sujet aurait peu d’intérêt et l’on pourrait très vite donner raison à tous ces subtiles stratèges socialistes. On a ainsi vu le PS pratiquer une multiplicité de combinaisons lors des élections municipales de 2008 avec des résultats tout à fait probants. Le même genre de tactique pourrait parfaitement fonctionner pour les régionales l’an prochain. Les majorités n’ont en effet aucun besoin d’être composées de la même manière ici et là, elles peuvent par exemple inclure le Modem ou non, les Verts ou non, le PCF ou non, etc. selon les besoins et les particularités locales. Dans une telle configuration, appeler à une large coalition des communistes au Modem ne mange pas de pain.
Le seul problème de ce raisonnement tient au fait, têtu, que ce ne sont pas simplement les élections locales qu’il s’agit de gagner mais les élections nationales, présidentielles et législatives. Celles de 2012 de préférence.
Et là, il n’est évidemment plus question d’alliance électorale à géométrie variable ! Il est question de majorité unie autour d’un projet – a minima d’un programme – commun pour gouverner le pays et, plus encore, lui indiquer un cap pour plusieurs années. Il devient dès lors difficile d’envisager une coalition telle que celle proposée par Vincent Peillon et ses amis. On ne voit pas en effet très bien comment les communistes d’un côté, et les amis de Daniel Cohn-Bendit ou, a fortiori, de François Bayrou, de l’autre, accepteraient de signer un document commun et/ou de se retrouver dans le même gouvernement. Symétriquement, on peut craindre qu’un simple remake de « l’union de la gauche » ou même de la « gauche plurielle » n’emporte pas l’adhésion franche et massive des Français.
Une telle impasse renvoie le PS à la nécessité de faire un choix clair et explicite, suffisamment tôt, quant à sa stratégie d’alliance pour 2012. Ne serait-ce que pour éviter les ambiguïtés de 2008 et les exercices de pensée magique auxquels s’adonnent nombre de ses dirigeants en ce moment. Le PS ne pourra pas échapper au choix entre deux logiques incompatibles, deux alliances qui font « système » politiquement : celle d’une alliance à gauche à condition qu’elle soit la plus large possible (avec les communistes, le Parti de gauche… et le NPA) ou celle d’une alliance socialo-écolo-centriste (avec les écologistes et le Modem donc).
Si ces deux solutions ne garantissent en aucun cas la victoire, elles sont pourtant les seules à la rendre possible. En effet, le PS ne peut plus partir seul au combat, la rose au fusil. Face à une droite qui achève de construire son unité organisationnelle sous la houlette sarkozyste, il n’est plus envisageable pour un parti qui entend garder son statut de principale force d’alternance présidentielle de risquer un nouveau 21 avril. D’autant qu’il pourrait se jouer cette fois au profit d’un candidat susceptible de battre Nicolas Sarkozy. La menace d’un débordement, au premier tour du scrutin, par un bon candidat écologiste ou, horresco referens, par un François Bayrou revenu de son purgatoire électoral, ne peut être totalement exclue. Surtout si malgré les fameuses « primaires » réclamées à cor et à cri par les socialistes, plusieurs candidats se présentent finalement à l’élection présidentielle au nom de la gauche de gouvernement voire au nom du PS. Il faut donc s’allier pour espérer gagner.
Mais s’allier est un exercice difficile pour le PS. A la fois parce que les socialistes ont la nostalgie de l’hégémonie qu’ils ont exercée sur la gauche depuis la victoire de 1981 et parce qu’il faut toujours concéder, idéologiquement, beaucoup pour obtenir électoralement un peu lorsque l’on s’allie par nécessité et non par goût. C’est ce qui est arrivé à François Mitterrand lui-même qui n’a pu se jouer des communistes qu’en leur empruntant rhétorique et idées. Il l’a fait tout en ayant l’assurance que le PS n’exploserait pas – les rocardiens battus au congrès de Metz sont restés dans le parti et ont pleinement contribué à son succès.
Aujourd’hui, le PS est tout aussi contraint par la nécessité de l’alliance pour gagner, tout aussi divisé sur de nombreux sujets et tout aussi fortement uni par la perspective électorale qu’à l’époque – sans doute même un peu plus dans la mesure où ses victoires aux élections locales successives ont encore affermi l’allégeance de ses élus. Les socialistes devront donc adopter, comme dans les années 1970, une large part du langage et des propositions de leurs alliés, quels qu’ils soient, s’ils veulent revenir au pouvoir.
La seule différence, de taille, avec les années 1970, tient à ce que nul n’est plus prêt à jouer le dindon de la farce de l’unité à la manière des communistes à l’époque. Effet d’apprentissage.
S’il s’allie à gauche, cela impliquera pour le PS d’adopter une part de ce que disent aujourd’hui non seulement le Parti communiste ou Jean-Luc Mélenchon, avec lesquels les habitudes sont prises depuis longtemps, mais encore Olivier Besancenot. Or on peut faire confiance à ce dernier pour faire monter fortement les enchères avant d’accepter de gouverner aux côtés des socialistes. La vieille formule « l’union est un combat » resservira à n’en pas douter. Si le PS s’allie avec sa droite – écologistes et centristes –, il en ira de même. Les concessions sémantiques et programmatiques porteront de la même manière l’empreinte indélébile de ses alliés.
La question est donc, ici et maintenant, pour le PS de savoir ce qu’il veut ou préfère, au fond. Or c’est là, chacun l’a bien compris, sa principale faiblesse.
C’est pourquoi, d’ailleurs, les socialistes ne devraient pas trop compter sur leur capacité de persuasion à l’égard de leurs futurs alliés, en pensant, à la légère, que ceux se sont eux qui se rallieront finalement aux positions socialistes. Tout simplement parce que bien souvent de telles positions n’existent pas – le manque crucial de travail doctrinal depuis au moins dix ans se paie désormais comptant –, et lorsque, par miracle, elles existent, elles sont loin d’être unanimes – les exemples de désaccords profonds entre socialistes sont légions. Si bien que chaque allié potentiel des socialistes trouvera toujours une oreille particulièrement attentive à son discours et ses projets au sein du Parti, ce qui rend les choses plus périlleuses encore.
La question des alliances, à la fois nécessité impérieuse et casse-tête impossible, apparaît donc aussi comme le révélateur pour le PS de son extrême faiblesse politique et, pis encore, du défaut de courage collectif qui règne en son sein depuis si longtemps.
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