Ces dernières semaines ont été particulièrement difficiles pour Barack Obama. Sa cote de popularité a subi un net fléchissement. Selon la dernière enquête pour MSNBC du 18 août, le niveau d’approbation de sa politique aurait chuté de dix points depuis avril (51% contre 61%). La raison principale de cette baisse tient au projet-phare de son mandat : la réforme du système de santé américain.
L’enjeu est considérable. Non seulement pour la réussite d’une présidence qui se jouera principalement, sur le plan domestique, sur cette réforme (les autres projets seront plus faciles à réaliser en cas de réussite), mais encore pour les Etats-Unis eux-mêmes. Le système de santé américain est en effet à la fois l’un des plus coûteux et l’un des moins efficaces de tous les pays développés. Coûteux d’abord parce que les dépenses liées à la santé pèsent près de 18% du PIB contre une moyenne de 9% dans les pays de l’OCDE (et qu’elles pourraient atteindre 25% en 2025) ; coûteux également parce que le poids des dépenses de santé sur le budget fédéral est considérable (23% hors paiement de la dette et 35% en 2025). Peu efficace puisque les indicateurs de santé publique restent médiocres au regard de ceux des pays comparables (espérance de vie à la naissance ou mortalité infantile par exemple). Surtout, malgré son coût, le système laisse sans couverture près de 47 millions de personnes –celles qui ne disposent ni d’une assurance privée ni des bénéfices des programmes publics tels que Medicare (réservé aux plus de 65 ans) ou Medicaid (destiné aux plus pauvres).
La réforme envisagée par l’Administration Obama porte sur l’ensemble du système. Elle comporte quatre objectifs principaux : l’élargissement de la couverture médicale à l’ensemble de la population ; une meilleure réglementation du marché de l’assurance privée afin d’améliorer la qualité de la couverture de ceux qui en bénéficient ; la réduction du rythme d’augmentation des dépenses de santé ; et l’amélioration des circuits de soins et de la prévention. Son coût est estimé à 1000 milliards de dollars sur dix ans.
L’une des propositions-clefs du projet est « l’option publique » (public option). C’est-à-dire la mise en place d’une assurance maladie publique en concurrence avec les offres privées afin de garantir la couverture de tous et de maîtriser les dépenses par la mutualisation des coûts. C’est sur ce point crucial que s’est fixée la contestation de la réforme ces dernières semaines, sous une forme particulièrement violente de la part des Républicains qui voient là une occasion unique de revenir sur le devant de la scène après leur K.O. électoral de l’automne dernier.
Ils n’ont d’ailleurs pas hésité à user des arguments les plus fallacieux : la réforme conduirait, par exemple, à la création de véritables « comités de la mort » (death panels) qui pourraient décider de la vie ou de la mort des patients gravement malades ! Tous les réseaux conservateurs ont été mobilisés pour relayer cette propagande. Sarah Palin a trouvé là une nouvelle occasion de s’illustrer par l’outrance de ses propos. Des interruptions violentes des nombreuses réunions publiques organisées par les élus pour débattre de la réforme sont systématiquement organisées. Malgré la virulence des attaques et l’inanité des arguments, l’offensive républicaine a porté ses fruits en instillant le doute dans l’opinion, à la fois sur les buts et les moyens de la réforme.
Face aux réticences du Congrès et à la mobilisation conservatrice, le président lui-même a semblé flotter. Pis, il s’est montré prêt à faire des concessions jugées inacceptables par la base démocrate dite « libérale » (la plus à gauche selon la terminologie politique américaine), comme le retrait de « l’option publique » après avoir déjà accepté un compromis avec les industries pharmaceutiques notamment.
Cette piètre performance de l’exécutif dans la gestion de la réforme tient également à son choix tactique de départ ; celui de laisser au Congrès le soin de mettre au point la proposition de loi plutôt que de l’élaborer à la Maison-Blanche. Ce choix paradoxal dès lors qu’il s’agit de « la » réforme-clef du premier mandat du président a en fait largement été dicté par le souvenir de l’échec de Bill Clinton en 1993 sur le même sujet.
Le problème d’un tel choix est qu’il donne l’initiative aux législateurs. Or non seulement ceux-ci sont dépendants des nombreux et puissants lobbies du secteur de la santé – en particulier celui des assureurs privés – mais encore, pour ce qui concerne les Représentants, de la fréquence de leur élection – tous les deux ans. Ce qui les rend très sensibles à la pression d’électeurs dont 85% sont déjà couverts par une assurance maladie et donc bien plus préoccupés par la hausse de leurs cotisations que par le sort réservé aux exclus de la couverture médicale.
La forte majorité démocrate élue en 2008 n’a pas facilité les choses, au contraire. La domination démocrate au Congrès a en effet conduit, mécaniquement, à une forte sensibilité au risque de perdre des sièges lors des mid terms de 2010, en particulier ceux obtenus dans des circonscriptions fortement disputées. C’est le cas notamment pour les Démocrates les plus conservateurs – les fameux Blue Dogs –, élus principalement dans des états du Sud. Ils sont les plus réticents à une réforme d’ampleur, et notamment à « l’option publique ». Ils ont joué ces dernières semaines un important rôle de blocage au sein des différents comités de la Chambre des Représentants en charge du dossier et sont largement responsables d’un enlisement qui pourrait s’avérer fatal au projet.
Face au risque d’échec, et en appui d’une mobilisation démocrate qui se met enfin en place, Barack Obama a décidé de monter lui-même au créneau ces derniers jours. Il a rappelé, dans le New York Times, les grands principes de sa réforme et notamment qu’elle devait bénéficier à tous les Américains qu’ils soient déjà couverts ou non. Il a décidé de tenir une série de réunions publiques pour expliquer ces principes et répondre directement aux questions. Et il a repris les attaques directes contre les compagnies d’assurance privées en dénonçant leurs pratiques mercantiles et amorales à partir d’expériences concrètes de leurs victimes.
La rentrée politique à Washington, début septembre, permettra de vérifier si ce ressaisissement présidentiel peut encore faire la différence.