Je viens de traverser Boulia et je longe la Burke river en direction de Bedourie. J’ai planté le camp dans le bush et fait des photos du coucher de soleil avant de dîner. Pendant que les nouilles cuisaient, un petit agamidé (Tympanocryptis tetraporophora) est venu me dire bonsoir. Très docile, il s’est laissé prendre en photos durant quelques minutes.
Tympanocryptis tetraporophora vers Bedourie, Qld.
La route jusqu’à Windorah va être longue, il le faut si je veux arriver à la fin de l’hiver, et j’espère passionnante.
Si j’écris ce soir, c’est parce que j’ai eu cette idée de dire quelques mots sur le côté artistique de la photo nature. En règle générale, la nature c’est le bordel. Il y a toujours une branche qui gène, les arrières plans ne sont pas toujours esthétiques, sans parler des problèmes d’éclairage.
Alors, on peut modifier certains éléments du décor : enlever la branche qui gène discrètement ou à la nuit tombée, ne pas hésiter à « balayer » entre le sujet et l’objectif afin d’éviter les reflets disgracieux causés par une feuille ou une brindille.
Pour les arrières plans, c’est plus compliqué, il faut parfois changer complètement d’angle de prise de vue, ce qui implique de devoir parfois attendre des heures avant d’obtenir une bonne lumière. Par exemple, vous voyez un matin quelques oiseaux prendre leur bain au bord d’une mare et vous décidez de faire des photos. La lumière du matin n’est pas trop dure, vous tournez le dos au soleil et avancez à plat ventre dans la boue centimètre par centimètre. Arrivé à bonne distance, vous vous rendez compte que certaines pierres sont très proches et trop présentes dans l’image. En se plaçant de l’autre côté, le problème est résolu, mais il faut attendre des heures que le soleil tourne. Une meilleure observation aurait permis d’anticiper et de gagner du temps. En général, cette préparation se fait avant de s’installer et permet de penser son image avant de la faire mais aussi de mieux utiliser son matériel. Choisir sa focale à l’avance évite de transporter trop de matos. À quoi bon prendre le multiplicateur si on peut s’approcher très près, et, si le décor est propice, on peut prendre un objectif grand angle afin d’avoir une vue globale de la scène.
En emportant uniquement le nécessaire, on peut réagir plus rapidement et moins déranger l’animal. En témoignent ces deux images prises à quelques secondes d’intervalle, l’une au 300mm et l’autre au 20mm.
J’aime bien cette notion un peu théâtrale de la photo de nature, car commencer à penser son image, choisir le bon objectif et le bon angle de prise de vue, cela revient à préparer la scène sur laquelle les acteurs vont venir jouer.
Attention, je ne parle pas d’installer un affût des jours en avance ou de planter une branche pour attirer des piafs. C’est encore plus simple que ça, il suffit parfois de se déplacer de quelques centimètres pour faire oublier une clôture électrique ou un bouchon de bouteille qui traîne par terre.
Souvent on sait que c’est moche, mais on fait la photo pour le souvenir …
Cela demande quelques capacités d’observation ainsi qu’un certain sens esthétique (ou un sens esthétique certain, c’est encore mieux) et cela fait la différence entre une photo de merde et une photo moins de merde.
Enfin, le plus important, je l’écris afin de ne pas l’oublier moi aussi, si rien y fait, si la scène est hideuse et la lumière pourrie, pourquoi déclancher ?
Être un bon photographe c’est aussi savoir quand de pas déclancher. Et croyez-moi, c’est dur, très dur, surtout quand on visite un nouveau pays. Trop souvent le jeu des acteurs est si bon qu’on en oublie que le décor est à chier. Alors on shoot, on fait 10, 20, 30 images et, le soir, à l’heure de l’éditing on supprime les 10, 20, 30 images pas assez esthétiques.
L’esthétique, c’est aussi une question de point de vue. Certains diront : « Ah bon ? Tu trouves ? Non, j’aime bien moi, le fil barbelé en arrière-plan. Ça fait Auschwitz. » ou encore : « Meueueu non, on la voit pas la bouteille de Coca ! Et pis c’est la nature, faut faire avec, hein ! ».
On peut aller loin comme ça. Certains, et cela rappellera des souvenirs à au moins une personne qui, si elle se reconnaît, pourra poster un petit commentaire en souvenir de l’époque où je venais l’embêter dans son bureau avec mes questions d’étudiant à deux euros. Certains disais-je, avant d’être grossièrement interrompu par moi-même, poussent le mauvais goût jusqu’à faire des photos d’animaux morts (en l’occurrence d’insectes) en les mettant en scène afin de les faire passer pour plus vivants qu’ils ne le sont. Quelle rigolade de s’amuser à chercher les trous d’épingle dans les élytres de tel ou tel coléoptère !
Quant à celles et ceux qui ont encore des doutes sur leur sens du beau, qu’ils aillent visiter un cabanon de chasse. Si l’alternance renard mort, belette morte, chevreuil mort sur fond de plancher en chêne verni et moquette verte réveille le poète qui sommeille en eux et rend telle zone de leur anatomie plus dure ou telle autre plus humide, qu’ils laissent tomber la photo et se lancent dans le canevas.
Une jolie scène, un milan noir se pose pour boire à proximité d’un ibis falcinelle sous une chaude lumière de fin d’après-midi. Malheureusement, la clôture en arrière plan vient tout gâcher.