Magazine Cinéma
O’Cangaceiro
1969
Giovanni Fago
Avec: Tomas Milian, Eduardo Fajardo
Le western révolutionnaire, on le sait depuis qu’il existe, est, non sans ironie, fortement marqué à gauche. Dénonciation de l’impérialisme américain, des dictatures fascistes et du capitalisme. Aujourd’hui, la tendance analytique (qui va bien dans le sens du vent du moment) est de gratter sous la caution prolétarienne et de mettre en avant ladite ironie qui montrerait que les réalisateurs de westerns zapata ne croyaient pas à leur discours, employant donc une sorte de sous-sous-texte pour dire finalement, rien ne marche, on ne croit qu’en l’individualisme, et encore. Comme un genre de western nihiliste quoi : le capitalisme, tout ça c’est pas bien, mais faut faire avec, la révolution ne changera rien, comme le chantait Renaud : « ils font la fête au mois de juillet, en souvenir d’une révolution qui n’a jamais éliminé, la misère et l’exploitation ».
O’Cangaceiro ne déroge pas à la règle. La phrase clé est bien sûr cette remarque de l’ingénieur hollandais (Ugo Pagliai) sur le fait que si son entreprise peut faire des bénéfices en hausse de 80%, c’est bien parce que les pauvres n’ont rien à bouffer. Là, le film est dans le cadre. Et pourtant à la fin, Espedito (Tomas Milian) abandonne la lutte, genre ça ne sert à rien, tu peux toujours tuer un gouverneur ou deux, ça ne changera rien, la gangrène capitaliste est bien installée, pour régler ça il faudrait amputer sévèrement, voire couler le pays entier. Le film sort du cadre, Espedito s’en va, l’ingénieur hollandais s’en va aussi, leur conscience politique à tous les deux a évolué vers un ni-ni, on arrête tout et on s’efforce de survivre dans un monde de merde. Mais il faut dire que la révolution d’Espedito était d’emblée apolitique, à l’image de ces chefs de pillards qui se proclament général dans Companeros ou Saludos Hombre, avec en plus un coté mystico-chrétien-crétin souligné par son titre ridicule de Rédempteur.
Tout cela serait proprement à bailler d’ennui si on n’avait pas affaire à un petit western zapata de bonne tenue. On peut bien sûr lancer le débat sur cette dénomination puisque l’action se déroule au Brésil et n’est donc pas à classer dans la catégorie Western, mais honnêtement, je ne vois pas grande différence avec le genre, à deux ou trois détails près : les décors sont Brésiliens puisque le film a été tourné là-bas, on voit donc une végétation assez luxuriante, et le casting est brésilien aussi et tranche pas mal avec les gitans d’Almeria par sa couleur noire de peau. Enfin, les cangaceiros ont un joli costume. Mais pour le reste, l’armée se fait décimer, Tomas Milian joue toujours bien l’abruti exalté, Eduardo Fajardo est un méchant toujours excellent, et l’européen de rigueur est là (tiens, un Hollandais cette fois !) pour être confronté à la population locale (savoureuse scène de la voiture démantelée). Rien de bien neuf donc, mais que du plaisant, les bases sont là, mais avec une couleur un peu plus exotique, un peu comme lorsque Carlos Nuñez revisite le Boléro de Ravel. Deux belles scènes comme on en verrait plus dans le cinéma commercial d’aujourd’hui surnagent : celle où l’ingénieur hollandais lit Lord Jim de Joseph Conrad toute la nuit aux Cangaceiros (Je n’ai pas vraiment trouvé de résonance fracassante entre ce livre et le thème du film), et celle où le même ingénieur hollandais parvient au campement d’Espedito en suivant une piste formée d’hommes dans leurs hamacs. Belle conclusion sans doute, sous cette superbe et lancinante et brésilianisante musique de Riz Ortolani : la révolution ? Peuh, après la sieste !
Où le voir : DVD Wild Side, image propre mais VF foireuse à éviter, les voix sont étouffées voire inaudibles. Si vous êtes myopes et incapables de lire les sous-titres, vous êtes dans la merde. Deux bonus dans le coffret. Un entretien avec Giovanni Fago qui parle de son parcours, de son amour du cinéma et du Brésil, et de ses souvenirs sur le film. Très intéressant et émouvant. Le deuxième bonus est une intervention croisée de Noël Simsolo, Jean-François Giré et Jean Baptiste Thoret, les trois hommes retraçant les tenants et les aboutissants du western zapata. Noël Simsolo (auteur des Conversations avec Sergio Leone) place la barre assez haute en employant des mots à plusieurs syllabes, Jean-François Giré se fait plus accessible mais n’apprendra pas grand-chose à ceux qui ont lu son livre, quant à Jean Baptiste Thoret il présente la thèse assez simpliste que le western américain n’a pu muter que grâce au western spaghetti (quand on voit Major Dundee qui date de 64, on peut légitimement en douter) et va jusqu’à dire que La Horde Sauvage est un western spaghetti tourné en Amérique, affirmation qui me plairait énormément s’il s’agissait d’une provocation pure et simple, mais qui semble ici lancée de façon bien candide.
Image: western movies