Des machines qui prennent le contrôle sur terre et qui détruisent le genre humain, un héros prophétique surgi de nulle part qui sauve la planète, cela vous dit quelque chose ? Rassurez vous nous ne sommes pas au beau milieu de la saga "Terminator", mais au cœur de la destinée d’un personnage ordinaire, "Numéro 9", qui devient le seul espoir d’une planète sur le point de sombrer.
J’attendais ce long métrage de Shane Acker avec une très grande impatience, et j’ai eu l’occasion d’en faire des tonnes ici car je sentais que l’excellence serait au rendez vous, et ce fut le cas. "Numéro 9" (dont le titre anglais "9" est bien plus sobre et révélateur) permet à son metteur en scène d’entrer de plein pied dans la cours des grands avec un petit bijou du cinéma d’animation. La tendance actuelle est de nous proposer des films avec plusieurs niveaux de lecture. Les plus jeunes se satisferont (mais j’en reparlerai) d’un graphisme performant alors que les adultes apprécieront que le long métrage aborde des sujets d’une gravité incroyable sous la forme d’une fable post apocalyptique. L’arrivée de "Numéro 9" sur nos écrans est déjà une performance à elle toute seule puisqu’à la base le long métrage était un court de 11 minutes. Une perle de l’animation saluée ici ou là et bardée de prix et récompenses diverses. Timur Bekmanbetov ("Night" et "Day Watch" "Wanted") mais surtout Tim Burton ont permis à Shane Acker de mener à terme ce projet insensé de faire passer son métrage d’une durée à une autre. La transformation a induit un travail rigoureux de réécriture. Petit aparté : j’ai trouvé les visuels français extrêmement maladroits et confus. Les affiches laissaient entendre que "Numéro 9" était l’œuvre de Tim Burton, exit Shane Acker. Désolant. Mais je dois aussi avouer d’un autre côté que l’univers de "Numéro 9" nous propose des parentés visuelles et scénaristiques plus que troublantes.
L’histoire est passionnante, riche et inventive. Le scénario est d’une précision diabolique. La dureté de la thématique est surprenante. Le spectateur se dit que Shane Acker, soutenu par ses pairs, a dû lutter contre vents et marées pour imposer une vision aussi sombre du monde. Pas facile de proposer la représentation d’une humanité détruite par les machines dont le seul espoir demeure des personnages de toile et de métal mesurant quelques centimètres de haut. Quel culot. Dans cette optique la démarche du long métrage "Numéro 9" est à saluer. Même si le film risque de déboussoler les enfants ou de couper carrément le film d’un public familial, l’œuvre aborde la mort sans tabous ni ellipse narrative. A certains moments cruciaux de l’œuvre, le drame éclate quand des personnages tombent sous les coups des machines. La tension est palpable, l’émotion nous prend aux tripes. Ces petites créatures inventées par un savant à la limite de la folie deviennent attachantes dès leur entrée en scène. Numéro 9 (en tant qu’entité "vivante") attire indiscutablement notre sympathie et notre compassion. Son destin le rend légendaire. Mais il n’est pas le seul. Même si Shane Acker a braqué ses projecteurs sur ce petit bout de chiffon animé, il traite les congénères du héros de fortune avec beaucoup de respect et de caractérisation. Chaque être a quelque chose (un attribut, une série de répliques, une manière de se comporter) qui le rend unique et qui nous captive. La gamme des particularités est tellement large que chaque spectateur pourra s’identifier au numéro qui lui correspond. Mais "Numéro 9" est avant tout un long métrage où l’action prédomine. Des scènes à couper le souffle nous plongent dans cet univers palpitant, de manière vertigineuse. Le long métrage est à la croisée d’influences diverses (la science fiction concernant la thématique de l’apocalypse des machines, ou le fantastique quand le secret de la fabrication de ces petits êtres nous est donné). Ce mélange des genres, agrémenté de touches d’humour et d’émotion, jamais gratuites ni envahissantes, a pour résultat de nous fournir un nombre prodigieux de petits morceaux d’anthologie dans lesquels le suspense est rarement absent.
Sur le plan technique, "Numéro 9" est un film qui a du coffre. Les procédés employés répondent de manière plus que satisfaisante aux audaces du scénario. Je pourrais disserter des heures sur la précision du graphisme. Les costumes des personnages fourmillent de mille détails. Les arrière-plans sont d’une précision inouïe. On a juste l’impression que de nouvelles limites technologies ont été franchies. Le film dure à peine une heure et vingt minutes, mais j’ai eu du mal à me détacher de cet univers si particulier tant la méthode employée est opportune et décisive.
L’adulte que je suis, qui abrite avec soin une âme d’éternel enfant (qui dirait le contraire ?) s’est laissé prendre dans les filets du "Numéro 9" avec ravissement. Le long métrage de Shane Hacker est un film d’une qualité plus que rare. Une œuvre qui conjugue des thématiques à plusieurs niveaux de lecture et un pari technique avant-gardiste. Doté également d’une bande son variée et plaisante (des airs très doux quand l’émotion prend le pas sur l’action ou les sonorités typiquement industrielles des machines prédatrices), "Numéro 9" pose ses jalons et marque les esprits. Le film se pose aussi comme une leçon de vie. La folie des hommes est pointée du doigt. Le monde du "Numéro 9" est empreint de tristesse, mais parfois, du néant, l’espoir peut surgir de la plus insensée des manières.
Rien que pour cela "Numéro 9" mérite d’être vu.