Cette analyse est à la fois simple est subtile : Versac – c’est son pseudo de blogueur – considère que le Web est la réunion de trois ensembles, non forcément disjoints d’ailleurs puisque Wikipedia est à leur intersection : le Web documentaire, constitué des sites figés « à l’ancienne », le Web de l’information, construit autour des grands medias d’information en ligne, presse et TV confondus, et le Web social, cet immense édifice auquel chaque internaute peut apporter sa contribution, selon son degré d’implication, du commentaire sur Amazon aux blogs les plus évolués ou à Facebook.
La seconde partie de cet ouvrage est consacrée aux impacts de cette segmentation du Web, à ce que cela change dans la vie de nos démocraties occidentales. De l’essor de la Tecktonik à la campagne d’Obama, l’auteur propose différents exemples concrets, tout en disséminant un brin d’analyse sociologique de ci de là.
J’aime les choses simples, et la vision de Versac relève de ces explications limpides qui donnent une vision nette et précise de choses qui auparavant pourraient paraître difficiles à appréhender. A ce titre, cet ouvrage est évidemment de ceux à mettre en les mains de ceux et celles qui auraient manqué, justement, la révolution numérique: globalement les générations née entre les années 1930-1980.
Pour autant, je ne peux m’empêcher d’émettre quelques réserves, aussi bien en tant que lecteur qu’en tant qu’acteur de cet espace public numérique qu’il décrit.
- Les exemples choisis, par exemple, sont parfois à la limite de l’exposé pour la forme. Il y a bien d’autres usages que la diffusion de la Tecktonik pour illustrer les mécanismes viraux. Les références récurrentes aux « skyblogs » sont d’ailleurs somme toute assez agaçante : s’ils représentent la démocratie numérique, passons à autre chose.
- La circulation des idées, est à mon avis un leurre. L’existence de liens physiques entre deux communautés sémantiquement ou politiquement disjointes ne signifie pas forcément que ces liens seront empruntés. L’analyse par le lien est une analyse à plat, à laquelle il manque une dimension importante, celle de la fréquentation de ces liens. Je doute que des données précises existent sur cet aspect là.
- La thèse de l’intelligence collective, qu’il reprend à son compte, me laisse également totalement froid. A mon sens, l’intelligence d’un groupe ne reflète que celle de ses membres les plus brillants, et encore faut-il diviser par la taille du groupe…
- Si la division du Web en trois parties est élégante, la qualification des ensembles est pour le peu rapide. Le Web social n’est pas la panacée. S’il offre un espace d’expression sans limite, il ne mérite pas réellement sa qualification de démocratique : une démocratie ne peut fonctionner sans règles. C’est, paradoxalement, dans les deux autres espaces que des règles, plus ou moins implicites, permettent de respecter le citoyen. L’apparition d’une charte telle que HON relève de ce besoin de limites : rares sont les espaces du Web social, par exemple, susceptibles de respecter les critères de qualité d’une telle charte.
Dernière critique, enfin, émanant d’un esprit plutôt scientifique enclin à toutes formes de nomenclatures et de classifications : il manque un thésaurus et une liste de références à ce livre. Peut-être pour en limiter le nombre de pages à une centaine ?
Bref, s’il n’atteint pas la consistance et la pertinence de l’ouvrage de Tocqueville dont il est un joli calembour, « De la démocratie numérique » mérite de figurer dans de nombreuses bibliothèques de nos compatriotes. Avant que la prochaine révolution du Web ne vienne rendre obsolètes certaines des thèses qui y sont exposées.
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