J’ai attendu un jour clair pour apporter cette lecture à votre attention. Cette fois, je passe mon tour de critique, le laisse aux autres. Je tente une expérience et c’est l’édition « Roman 10/10 » qui me le permet. Le jour est noir terminé en 1961 et paru en 1962 offrait à la fin de l’épilogue un échantillonnage de critiques de journalistes. Je dois avouer que c’est ce qui m’a le plus intéressé dans le livre ! J’imagine mal aujourd’hui qu’on rajoute à la fin d’une œuvre des critiques aussi sévères. L’abondance aussi m’a frappée. On a maintenant de la difficulté à en trouver quatre ou cinq, tandis qu’il s’en trouve une douzaine. Comme j’aime partager ce qui me frappe, j’ai pensé vous les transcrire, en supposant que l’expérience vous intéresse. Si ce n’est pas le cas, je vous laisse mon commentaire qui est plus une réaction de lecture, ce qui est différent d’une critique.
Dans mon billet précédent, j’ai laissé entendre combien cette lecture m’a troublée, dans le sens de perturbation d’humeur. C’est qu’elle est forte, cette M.C. Blais pour nous emmener dans son monde. Le problème est que je ne voulais pas l’accompagner. Même quand elle me tirait par la peau de sa prose poétique, je me braquais. Cette histoire a des allures de rêverie sans étiquette autocollante super adhésive. Vous savez ces rêves noirs de nuit, ces cauchemars où il est impossible de hurler et où l’on erre, convaincu que c’est vrai ce pire du pire et où, au réveil, il faut se secouer pour se convaincre qu’il fait clair, se pincer encore et encore pour accepter que tout n’était que pure invention. C’est l’essentiel de l’impression que m’a laissée ma lecture, sans le prix de consolation de mes « vrais » rêves qui est celle de croire que je viens de m’offrir un nettoyage en règle de ma psyché. J’en mets hein ? Elle aussi, que voulez-vous, elle aussi.
Pour ceux qui veulent vivre l’expérience des critiques de journalistes de l’époque :
Un roman qui veut creuser en profondeur le sens de l’amour et de la jeunesse, de la mort et de la vie, et qui ne réussit qu’à donner une impression d’artificiel. Marie-Claire Blais a un talent fou. De toute la jeune génération de romancières québécoises, elle est peut-être la seule qui sache éviter l’eau de rose et le noir mélodrame, et qui soit vraiment capable de poésie intense, instinctive et profonde. Ces qualités, on les sent, malgré tout, dans ce dernier roman, à l’arrière-plan, au-delà des artifices et des incohérences.
Signé : Lysiane Gagnon
La substance romanesque est mince dans ce très bref roman mais les thèmes de l’amour et de la mort y sont prétextes à la plus subtile des analyses. Comment la passion, dès la prime jeunesse, s’insinue aux cœurs et aux corps des êtres et les possède, comment la vie lie et délie, l’enfantement et la mort. M.-C. Blais le dit avec une sensibilité ouverte aux plus petits mouvements de l’âme et de la chair.
Signé : Eugène Fabre
Les sentiments y sont exprimés d’une façon très poétique et certaines pages sur l’amour et la maternité sont émouvantes de vérité. M.C. Blais y révèle une grande intuition et une extrême sensibilité.
Signé : Suzanne Blouin
Celle-ci est aussi mal adaptée au roman que ses personnages le sont à la vie [...] La romancière semble se complaire dans le noir qui prête à toutes les confusions et qui peut laisser croire, parce qu’il est insondable, à toutes profondeurs. Avec cette jeune romancière nous avons le vertige du vide, celui qui donne le noir trop savamment entretenu.
Signé : Gilles Boyer
Plus prosaïquement « Le Jour est noir » pourrait se définir comment étant, à la fois, le roman de nulle part et le roman de personne [...] Ressusciter dans un roman l’artifice symboliste est un anachronisme de taille [...] M.C. Blais nous rappelle les pires défauts de Maeterlinck par l’inconsistance de la forme et le maniérisme du style.
Signé : Victor Barbeau
Nous ne faisons preuve d’aucune sévérité indue en nous demandant si elle ne cède pas exagérément à ce qui est devenu chez elle un procédé [...] Il y a de l’incantation verbale dans ce récit que j’ai peine à qualifier de roman. Tout concourt au dépaysement [...] M.-C. Blais doit encore apprendre à discipliner ses richesses intérieures.
Signé : Roger Duhamel
Un songe fantasmagorique de l’ordre de ceux que l’on peut faire lors d’une anesthésie au pentothal. Tout dans ce récit est flou et immatériel comme le rêve [...] Le style de ce livre est d’une originalité voulue, indécis entre la prose et la posée et partant irritant pour le lecteur qui perd pied.
Signé : Bulletin du Cercle Juif
Le jour est noir n’exprime aucune beauté de sentiments, malgré la quasi-mise en scène poétique où baigne l’œuvre. M.-C. Blais continue d’être séduite par certaines circonstances exceptionnelles de son enfance et ne réussit pas à s’en affranchir.
Signé : Jacques Parent
On retrouve dans ce roman certains des thèmes qui affligent notre littérature, mais sans substance et exploités à l’excès par quelqu’un qui les a appris par cœur, et qui passe vite sur ce qu’il connait pour arriver au plus tôt à parler de qu’il ignore. Ce livre-là, comme le prototype I et le prototype II, n’a aucune épaisseur, aucun contact avec la réalité, aucune relation non plus avec le fantastique ou le symbolisme. Et sa « noirceur » vient moins de la profondeur que de la négligence à ouvrir une fenêtre sur le monde. Il est à craindre qu’à répéter trop souvent ses trucs, M.-C. Blais ne les évente. Le jour est noir n’est ni meilleur ni pire que La belle bête ou Tête blanche. Le seul progrès accompli l’est chez le lecteur, qui ne prend plus l’indécision et les fautes pour des astuces de style ou d’innocence.
Signé : Jean Paré
Un roman si factice qu’il ressemble au produit d’une élève à qui on a dit qu’elle faisait de « belles compositions ». Rien ne tient sinon le vague ennui que ressent le lecteur dès la dixième page, malgré, ici et là, quelques sursauts d’intérêt. M.-C. Blais a du talent ! Personne ne le nie ! Notre exigence même vient de cette certitude. Mais ce n’est pas à publier son petit roman ou son petit poème ou sa petite pièce de théâtre, sous les six ou dix ou douze mois qu’elle donnera sa vraie mesure. Dans son cas, la multiplicité des œuvres engendre l’appauvrissement de l’inspiration, de l’humain, du senti.
Signé : Julia Richer
Dans toute la littérature canadienne-française pourtant généralement gaie, je ne crois pas qu’on ait jamais écrit un livre aussi noir. Il fallait sans doute beaucoup de courage pour l’écrire. Mais il aurait fallu plus que du courage pour le réussir. M.-C. Blais n’a pu maîtriser les songes affreux qu’elle a évoqués. De vives lumières éclairent parfois son récit, mais il demeure, dans l’ensemble, maladroit, imprécis, un peu puéril. Le jour est noir n’est que l’ébauche du grand, du terrible roman qu’appelait son sujet.
Signé : Gilles Marcotte
Avec M.-C. Blais, nous sommes incontestablement devant un talent original sur lequel il est impossible de faire la moindre conjoncture. La jeune romancière n’est pas encore sortie d’un monde chimérique dont elle semble être la seule à détenir les clefs. Mais je serais fort surpris que quelque jour prochain ou lointain, peu importe, elle ne nous apporte une œuvre qui nous étonnera tous. Car il semble que sommeillent en elle des forces inconnues qui ne font qu’émerger à peine à la surface. Le jour où tout cela passera d’un rêve imprécis à la vie vraie, toute cette poésie sommeillante, encore trop peu sûre d’elle-même, pourra alors produire quelque chose de très beau.
Signé : Jean Hamelin
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Cette dernière critique résonne maintenant comme un présage puisqu’un an plus tard, Marie-Claire Blais sortait « Une saison dans la vie d’Emmanuel » qui a connu un vif succès.