Je sors d’une intervention de Finn Kjellberg (sur un sujet qui est loin d’être ma tasse de thé café, mais il faut avouer qu’il était plus qu’à fond dans son sujet, chapeau bas). Au cours de cette intervention (sur les symbioses entre ficus et pollinisateurs), il en est arrivé à parler d’exploration de l’univers des possibles. Ce qui a fini par faire tilt dans ma tête, puisque c’est un argument utilisé fréquemment pas les partisans du Dessein Intelligent.
Je n’avais jamais vraiment trouvé de réponse (de réponse autre que c’est un non-sens total) a des arguments comme Si tout est fait au hasard, avec le temps, pourquoi est-ce qu’on ne voit pas […]. Et puis finalement, l’explication qui a été avancée cet après-midi me semble extrêmement intéressante.
Nous avons a notre disposition un “univers des possibles”, qu’il est (éventuellement) possible d’explorer. Seulement voilà, ce n’est pas possible en pratique.
Un univers des possibles, comment ça se définirait? Par des probabilités. Le fait que si on laisse des singes jouer suffisamment longtemps avec des machines à écrire, ils finiront par réécrire mot pour mot l’Internationale ou Guerre et Paix. Ou L’Origine des Espèces, tiens, ça serait marrant.
Dans ce genre d’univers, donc, il suffirait de répliquer un nombre suffisamment grand de fois une expérience (un individu) pour avoir une infinité de variations possibles (un éléphant photosynthétique, pour reprendre l’exemple). Oui mais voilà, autant on pouvait invoquer ce raisonnement pour expliquer la formation des premiers éléments vivants (je n’ai aucune idée sur le fait que ce soit juste ou non, par ailleurs, mais je sais que certains ont envisagé cette hypothèse), autant pour l’évolution, ça pose problème.
Parce que, tout simplement, nous n’avons pas l’infinité de répétitions. Enfin pas tous. Chez les “gros” organismes (disons les eucaryotes), il faut compter avec un temps de génération long (la bactérie Escherichia coli double sa taille de population en 20 minutes, si je me souviens bien, une levure type Saccharomyces cerevisiae le fait en 1 heure; un humain peut espérer avoir sa descendance après environ 30 ans).
Et puis en plus, notre effectif de population n’est pas infini. Loin de la. Par rapport a nos lointaines cousines (les bactéries), nous sommes même ridiculement petits… En de manière générale, plus on est gros, moins on est nombreux. Mes poissons abritent entre 5 et une centaine de parasites, nous avons plus de bactéries dans notre flore intestinale que dans le reste de notre corps, etc etc…
Si on veut résumer la capacité d’exploration de cet “univers des possibles”, il faut prendre en compte le fait qu’elle est négativement corrélée à μ et à N. Autrement dit, si on voulait jouer a ce petit jeu face a des bactéries, nous n’aurions aucune chance. J’y reviens juste après.
Et tout ça nous renvoie a un papier de Marzluff et Diall, qui dit exactement la même chose. Une espèce caractérisée par un cycle de vie court est plus encline à la cospéciation que les autres (après que j’aie lu ça, j’ai fait la danse de la victoire dans mon bureau, bien entendu).
Par contre, nous organismes de grande taille, on peut faire tout autre chose. Si nous ne sommes pas capables d’”inventer” les mêmes mécanismes que les bactéries,… On peut leur voler! Parce que notre spécialité, c’est d’organiser les choses, de structurer l’espace. Un ensemble de niches écologiques, vous dis-je. Dans lesquelles ces bactéries (ou autres micro-organismes, d’ailleurs, je ne voudrais pas être exclusif) vont venir squatter. Et nous rendre quelques services.
Donc, cette réfutation du rôle du hasard par utilisation de l’”univers des possibles” ne tient pas la route. Et même, en réfléchissant un peu, on donne du sens aux symbioses (si c’était vraiment aussi simple…)
Notes- Insérer un truc étrange ici: plus de variétés de chiens, des animaux faire de la photo-synthèse, des hommes avec 4 bras, des créationnistes modérés, ou autres aberrations []
- inverse du temps de génération []
- effectif de l’espèce []
- J. Marzluff & K. Dial. Life History Correlates of Taxonomic Diversity. Ecology 72(2):428–439, 1991 []