De ma fenêtre, il y a bien longtemps que je ne vois plus rien. Le lierre et les roses sauvages ont
grimpé jusqu'à la balustrade, envahissant peu à peu l'espace. J'ai toujours aimé le parfum des roses et depuis que Yann n'est plus, je n'autorise personne à les couper.
L'obscurité relative de ma chambre ne m'est pas violence, au contraire. Et puis pour l'éclatante
lumière, j'ai juste quelques pas à faire. C'est de ce désir de lumière et de folle nature qu'est née notre petite maison près du Parc. Yann jouait du violon tous les matins face au lac, pour un
peuple de cygnes et de canards moqueurs.
Je n'aime plus les matins depuis que son archet a cessé sa lente litanie. Mais je me rends
toujours au Parc. Ils ont déplacé le banc, notre banc, celui avec la fleur de lys gravée sur la troisème planche. Il m'a fallu un long mois pour le retrouver. Je marche désormais si
lentement.
Depuis, quel que soit le temps, quand l'après-midi bascule, ivre de la fin du jour
approchant, je m'y assois et je contemple les oiseaux. Les cygnes ont disparu. Mais j'ai retrouvé les oies cendrées qui venaient chaque année en cortège joyeux habiter le ciel de mon enfance,
là-bas, à Cracovie. Je sais le monde agité autour de moi. Je sens leur présence, elle me suffit. Hier, une petite poule d'eau a traversé un instant le champ de mon espace. Elle m'a
presque fait sourire. Presque. La silhouette immobile près de mon banc, semblant attendre que je me tourne vers elle a chassé cette soudaine légèreté. Il était temps que je m'en aille.