Les collectivités locales touchées par la crise financière
Pour les collectivités locales qui financent près de 15 % de leurs investissements par la dette, l’époque du crédit facile est révolue : la crise du crédit qui touche actuellement
l’ensemble des acteurs économiques affecte également le financement local.
Premier impact de la crise financière sur les collectivités locales, la raréfaction du crédit va peser sur leur capacité d’emprunt. Au 1er janvier 2009, l’encours de leur dette s’établissait à 127,7 Md€ en hausse de 7 % par rapport à début 2008 [1] . D’après les estimations de Dexia, le recours à l’endettement sera plus modéré en 2009 avec un encours de dette en hausse de seulement 4,3 %.
Côté prêteurs, depuis plusieurs années, le financement du secteur public territorial était dominé au deux tiers par Dexia et les Caisses d’Epargne. Premières victimes de la crise, les organismes financiers ont diminué le volume des prêts octroyés afin d’améliorer leur bilan et ils accompagnent le ralentissement du marché du crédit par une politique de gestion des risques prudente ainsi qu’une politique précautionneuse des liquidités. Pour autant, les collectivités locales présentent des fondamentaux financiers très solides et peuvent donc se prévaloir d’une excellente qualité de signature.
Plus marqué, le second impact de la crise financière concerne le renchérissement des conditions de financement. Les organismes financiers tiennent compte dans leur politique tarifaire de l’augmentation du coût de la liquidité et du coût du risque. Cela se traduit, pour les nouveaux emprunts, par une augmentation des taux d’intérêt et par une réduction de la durée. En ce qui concerne les emprunts déjà contractés, les collectivités locales ont été exposées à la forte volatilité des taux et à leur impact sur les frais financiers à travers les crédits dits « structurés » qui, d’après les estimations de Fitch, représentent près d’un quart de leur dette.
Retour sur l’essor des crédits structurés
Utilisés dans le cadre de politiques de gestion dynamique de la dette, les crédits structurés ont commencé à se développer au milieu des années 90. Avec la banalisation du crédit et face à la pression concurrentielle, les banques ont mené une politique de compression des marges sur le marché des crédits classiques. Pour restaurer leurs marges, celles-ci ont trouvé un relais de croissance en proposant à leurs clients (collectivités locales mais aussi hôpitaux ou encore organismes HLM) un service d’ingénierie financière s’appuyant sur des offres de crédits structurés. Ce service consiste à analyser régulièrement l’endettement des clients et à leur proposer le réaménagement de leur encours de manière à ce qu’ils puissent tirer parti des opportunités qu’offrent les marchés financiers.
Pour les collectivités locales, dont la majorité de l’encours de dette est à taux fixe, les crédits structurés constituent un produit de diversification ainsi qu’un outil d’optimisation de la gestion de la dette qui, dans un contexte financier favorable, contribue à l’allègement des charges d’intérêt et donc du coût de la dette. Ainsi, le contexte de baisse significative et continue des taux d’intérêt entre 1995 et 2006 a favorisé le développement des produits structurés avec toutefois un degré de diffusion disparate et des niveaux de risque contrastés à travers les territoires.
La stratégie commerciale des établissements financiers et le contexte financier de ces dernières années n’expliquent pas, à elles seules, le succès des crédits structurés au sein du secteur public territorial. Les faiblesses de l’encadrement réglementaire et comptable ont largement contribué à cet essor en encourageant le « court-termisme » budgétaire des collectivités locales.
- D’une part, le manque de contraintes réglementaires a favorisé l’opacité du marché du financement des collectivités locales car ce marché est un des rares domaines de la gestion locale qui échappe au code des marchés publics.
- D’autre part, la comptabilité publique locale, qui relève d’une logique de caisse, présente des insuffisances en matière de pilotage des engagements et d’évaluation prudentielle. S’agissant des emprunts, les collectivités locales ne doivent rendre compte que des décaissements de l’exercice et elles ne sont pas obligées de provisionner les pertes latentes pour les engagements susceptibles d’engendrer des charges financières sur les prochains exercices. La LOLF[2] qui vise l’alignement de la comptabilité générale de l’Etat avec les normes applicables aux entreprises (normes IAS / IFRS) ne s’impose pas aux collectivités locales.
Les crédits structurés, un marché déstabilisé par la crise
Pour comprendre le piège financier des crédits structurés, il faut d’abord revenir sur leurs caractéristiques.
Les crédits structurés combinent, dans un seul et même contrat, un emprunt et un ou plusieurs produits dérivés permettant à l’emprunteur de bonifier son taux d’intérêt tant que les conditions de marchés préalablement définies sont remplies. A défaut, le taux d’intérêt est au contraire majoré (taux dégradé). Aussi longtemps que les taux sont bonifiés, les crédits structurés permettent d’abaisser facialement le coût de la dette. Le succès de ces opérations repose donc sur le pari que les conditions de dégradation ne seront jamais, ou très tardivement, remplies.
Dans cette catégorie d’emprunts, les formules les plus courantes sont les produits à barrière désactivante, les produits de pente et les produits à barrière de change (voir tableau ci-dessous) mais les déclinaisons des financements structurés sont infinies. D’autres formules s’avèrent beaucoup plus complexes (effets de structure cumulatifs, effets de levier, effets de cliquet) et requièrent une expertise financière pointue pour en apprécier les risques.
CMS = swap de maturité constante sur des durées de 1, 2, 5, 10, 20 ou 30 ans
Les risques financiers de ces produits résident dans la volatilité des marchés. La crise financière a mis en lumière ce risque avec des exemples très médiatisés, notamment la ville de Saint Etienne dont les crédits structurés représentent 60% des 400 M€ de dette et le département de Seine Saint Denis dont les crédits structurés représentent 92 % des 800 M€ de dette.
Les taux d’intérêt appliqués à ces crédits dépendent de variables telles que l’écart entre les taux d’intérêt à long et court terme ou les taux de change. Or, ces variables ont été fortement impactées par la crise avec notamment l’inversion de la courbe des taux et l’instabilité des taux de change.
Ainsi, l’année 2008 a été marquée par la dégradation de la situation financière des collectivités locales et par de fortes tensions budgétaires. Le contexte financier atypique a révélé le piège financier des crédits structurés : des produits tournés en priorité vers le court terme au détriment du long terme pouvant conduire les collectivités locales à payer des taux d’intérêt élevés.