Nicolas Sarkozy se fait discret. C'est curieux, ou pas.
Sans le soutien militaire et financier occidental - et essentiellement américain - l'Afghanistan n'aurait jamais pu tenir un tel scrutin. Son coût a été estimé à 250 millions de dollars, un quart du budget du pays. La sécurisation du pays, même relative, était indispensable à l'élection. Faut-il se réjouir de cet exercice démocratique, symbole de l'acharnement occidental sur place ?
Un peu de démocratie
La veille du scrutin présidentiel, Nicolas Sarkozy adressait au président Karzaï ses "voeux de stabilité et de prospérité pour la jeune démocratie afghane". Il prenait des accents bushiens pour clamer ses encouragements: "La France est aujourd'hui plus que jamais aux côtés du peuple afghan pour gagner ce combat pour la liberté, pour la démocratie, pour la paix et la sécurité. Elle le restera aussi longtemps que nécessaire".
Du point des Afghans, la tenue d'un tel scrutin semble assurément constituer un progrès par rapport à la situation talibane. Les fanatiques de la burqa ne laissaient aucune illusion aux partisan(e)s de la démocratie. L'expression de voix dissonantes et le plein exercice de leurs droits par les femmes étaient deux concepts trop matérialistes pour ces "étudiants en théologie".
Cependant, le scrutin lui-même fut particulier : si le premier tour s'est tenu, coûte que coûte, jeudi 20 août, il faudra attendre plusieurs mois avant l'organisation du second tour, ramadan oblige (à partir du 21 août). Curieuse conception de la démocratie... Le président Karzaï s'était-il donc donné tous les moyens pour être élu au premier tour ? Son opposant "principal" a dénoncé samedi des «irrégularités, fraudes et tentatives de trucages massives». Des centaines de plaintes ont été signalées. Vendredi, deux candidats réclamaient leur victoire dès le premier tour. L'Union européenne a déclaré son "inquiétude". La participation a finalement été médiocre.
Et en France ? On se cache. On ne dit rien. L'Elysée reste discret. Echec démocratique, l'Afghanistan est aussi un bourbier militaire que les Français font semblant d'ignorer.
Le bourbier
"L'Afghanistan n'est pas un bourbier". Ainsi parlait Thierry Mariani, député UMP du Var et représentant spécial de la France pour l'Afghanistan il y a une dizaine de jours. Les Français sont les seuls à penser ça. Il y a un mois, la Une de Courrier International illustrait parfaitement la situation occidentale en Afghanistan. On y voyait Barack Obama en GI. Initialement prévue pour débusquer Ossama Ben Laden et rétablir la démocratie, l’intervention occidentale de novembre 2001 n’a que trop durer. Les Talibans ont repris le contrôle d’une partie du pays. Doit-on assumer des années de guerre et un pourrissement militaire généralisé ? Assumant l'engagement antérieur, Barack Obama a plaidé la patience mardi dernier: "L'insurrection en Afghanistan n'a pas commencé du jour au lendemain. Nous ne pourrons pas la vaincre du jour au lendemain. Ce ne sera pas rapide. Ce ne sera pas facile". L'intervention en Afghanistan n'a jamais reçu le même traitement des opinions occidentales traumatisées par le 11 septembre 2001. On a oublié, même en France, qu'on était là-bas. Il a fallu que Nicolas Sarkozy décide de rompre sa promesse de campagne, en renforçant le contingent français, puis de réintégrer le commandement militaire intégré de l'OTAN, pour que certains se préoccupent de ce nouvel Irak.
L’Afghanistan est en passe de devenir un nouvel Irak. Dimanche 16 août, les Britanniques ont franchi un triste cap : 200 soldats tués sur place. Lundi 17 août, le Daily Telegraph a publié la photo des 204 morts. La semaine dernière, le commandant des forces américaines en Afghanistan a reconnu que « les Talibans ont pris le dessus ». Dimanche 23 août, un autre militaire américain (et pas des moindres puisqu'il s'agit du chef d'état-major interarmes américain, l'amiral Mike Mullen) a déclaré sur CNN: "Je pense que (la situation) est sérieuse et se détériore. Je le dis depuis deux ans, je dis que les insurgés taliban ont adopté de meilleures tactiques de combat, plus perfectionnées". En arrivant à la Maison Blanche, Barack Obama a assumé l'une de ses promesses de campagne: il jugeait que l'Afghanistan avait été un terrain négligé par l'administration Bush, après le déclenchement de la guerre en Irak, d'où l'échec actuel.
L’unique argument occidental pour poursuivre les combats est la lutte contre le terrorisme. Y-a-t-il moins d’attentats dans le monde depuis 2001 ? Au contraire, les Occidentaux semblent être tombés dans le piège : l’Afghanistan est un terrain d’affrontement symbolique pour toutes les succursales d’Al Qaida.