L’écrivain inconnu (méconnu) dans un salon ou dans une
librairie vit l’expérience de la solitude du coureur de fond ou celle du gardien de but. L’exercice est difficile. Sourire mais sans insister de peur d’être racoleur, regarder mais sans insister de
peur d’être arrogant, dire bonjour mais par politesse et non par intérêt, bref la posture du cow-boy qui jette un lasso pour agripper sa proie ou pour poursuivre dans la métaphore tenter de ne pas
effrayer le chaland par une invite qui vous fait penser à la courtisane dans une devanture d’Amsterdam.
Parce que l’objectif est là. Faire prendre votre « œuvre » dans la menotte d’un passant, l’inciter à lire la dernière de couverture où figure le résumé, et lui parler de vos mérites. Une opération
commerciale donc pour un produit qui n’a pas grand chose à voir avec un épluche patates fut-il sophistiqué.
Un couple s’est arrêté. Ils m’expliquent qu’ils n’osaient pas s’approcher de peur de ne pas oser refuser le livre si le sujet ne leur plaisait pas. Je les rassure. Les visiteurs effleurent le livre
ou ma présence du bout des yeux de peur d’accrocher.
C’est ainsi une occasion de grande humilité. Parce qu’au regard des colonnes de bouquin qui s’exposent sur chaque table ou les rangées énormes de livres au garde-à-vous sur les rayonnages, vous
vous apercevez très clairement qu’il n’y a vraiment aucune raison de venir vers vous et de vous acheter votre roman. Au milieu de ces milliers de livres, votre petit ouvrage se ratatine, devient
couleur de la nappe, et l’auteur se sent insignifiant ce qui est le comble pour quelqu’un qui aligne des signes sur la page blanche.
Quel intérêt d’avoir la signature d’un écrivain inconnu ?
Il me prend alors un désir fou d’être ailleurs, loin, seul.
Une journaliste m’interroge. Elle aime les livres, me conte son dégoût de voir la queue pour Musso et dix personnes pour Sepulveda. Cela me réconforte au fond, le succès n’est pas le signe du
talent. Mais l’insuccès non plus. Ne nous trouvons pas d’excuses du côté des poètes maudits.
Une lectrice s’arrête, feuillette quelques pages et me sourit. Cela suffit pour que je sente à nouveau le goût, le besoin du partage. Je dis lectrice, ce pourrait être aussi bien un lecteur, mais
ce sont les femmes qui constituent l’essentiel du public des salons.
À bientôt
Maurice Lévêque