Avouons sans détour que l’étiquette donnée à tout ce qui fait exister ce principe de vie, l’étiquette « action culturelle », n’est pas bien exaltante. Normal, ceux qui l’ont baptisée ainsi, l’isolant des autres activités cinématographiques à la fin des années 1990 lors de la funeste réforme du CNC menée par Marc Tessier, ne lui voulaient pas de bien. Mais bon, ainsi cela s’appelle-t-il.
La règle et toutes les exceptions. L’action culturelle cinématographique, donc, ACC pour les amateurs, regroupe l’ensemble des activités qui accompagnent la rencontre entre des films et des spectateurs au-delà de la seule filière de la diffusion marchande « classique » (en salles, à la télé, en DVD, en VoD). Cet immense réseau hétérogène réunit des pratiques très variées, dans des lieux et des contextes très divers, où interviennent des fonctionnaires, des salariés du privé et des bénévoles, où se croisent des cinéastes, des enseignants, des responsables de salles, des programmateurs, des militants associatifs, des quidams de toutes qualités. Ces pratiques ont une histoire longue, dont les racines sont aussi en partie celles des Cahiers, ne serait-ce que du fait de l’engagement d’André Bazin, le fondateur de la revue, dans les associations Peuple et culture et Travail et culture, qui furent à la Libération et dans les années 1950 des agents parmi les plus dynamiques de ce qu’on n’appelait pas alors action culturelle. Mais ce sont surtout les années 1980 qui ont donné naissance à d’innombrables dispositifs locaux ou spécialisés, dont l’ensemble constitue ce maillage exceptionnel qui offre au cinéma, et aux publics définis selon des approches multiples, des possibilités d’existence passionnantes.
Le scénario programmé évoqué au début est celui de la remise en question de ces dispositifs sous l’effet d’une soumission de plus en plus complète, et de plus en plus considérée comme « normale », aux lois du marché. Ce scénario comprend aussi un désengagement systématique de la puissance publique. Il détruit chaque jour des possibilités de rencontres entre des personnes et des oeuvres. Cette remise en question renvoie les films à la seule définition de produits et, symétriquement, les spectateurs à la seule définition de consommateurs.
Elle nous méprise et nous insulte, nous spectateurs de cinéma, et comme elle méprise et insulte les films et ceux qui les font. Elle tend à soumettre les uns et les autres à une règle unique : le marketing est la loi commune qui régit produits et consommateurs. L’action culturelle n’est pas l’alternative à cette loi, elle est toutes les possibilités, les plus locales comme les plus massives, les plus élaborées comme les plus sauvages, les mieux connues comme les encore à inventer, d’échapper à cette règle. C’est bien, en cela, une idée vivante du cinéma.
Mobilisation générale. Fragilisés économiquement et politiquement, les intervenants de l’action culturelle ont entrepris début 2008 (Appel du Saint-André des Arts le 11 janvier) de fédérer leurs forces et se sont dotés d’un organe commun, baptisé Blac (Bureau de liaison de l’action culturelle). Plusieurs centaines d’organisations de terrain ont signé l’Appel du 11 janvier, tandis qu’au cours de l’année écoulée se sont multipliées les initiatives contre le démantèlement programmé. Suite logique de cette mobilisation croissante, l’organisation des États généraux des 8 et 9 janvier au Centquatre vise à donner à ce mouvement une meilleure organisation et un nouvel élan.
Les Cahiers du cinéma s’associent naturellement à cette démarche. Le combat de l’action culturelle est le nôtre, pas seulement sur le plan des principes : il n’est pas un rédacteur de la revue qui ne participe activement à des activités relevant de ce domaine, qu’il s’agisse de présenter des films, d’intervenir en milieu scolaire et pour des formations, d’écrire des textes, d’animer des réflexions. Intervenants réguliers de l’ACC, nous en connaissons aussi les éventuelles limites ou contradictions, il ne s’agit pas ici de dire que tout ce qui se fait sous ce label est génial, mais d’affirmer que la démarche dans son ensemble est essentielle.
Pâquerettes. Essentielle, l’action culturelle est aussi mal connue. Et c’est pourquoi nous avons fait le choix, à côté de l’annonce de la tenue des États généraux (dont nous rendrons compte dans le numéro de février) de commencer par décrire ces pratiques, en donnant le plus possible la parole à ceux qui les mettent en oeuvre. Toutes les activités relevant de l’ACC n’y figurent pas, et moins encore l’infinie variété des pratiques concrètes. Ces pratiques répondent parfois à des besoins, parfois à des désirs, parfois à des rencontres fortuites qui peuvent enclencher des projets au long cours - ainsi, cas limite mais exemplaire, la singulière aventure dans laquelle, à partir d’une initiative très localisée, minuscule, s’est trouvé embarqué Gilles Porte : atypique, et même hors sujet à l’origine, son idée se transforme en longue aventure du regard, de la représentation, du passage. C’est avec de tout petits enfants, ce pourrait être, différemment, avec des ados en banlieue, des taulards, des profs nantais ou castelroussins, des agriculteurs, des malades, des lycéens, des usagers de bibliothèques publiques, des syndicalistes, des cinéphiles parisiens… Cas limite d’entreprises qui reposent parfois sur des dispositifs lourds, sur des convergences de forces à l’échelle de tout le pays, comme École et cinéma, le réseau des salles de recherche, parfois sur l’activisme des cinéastes eux-mêmes, comme l’Acid, parfois en relais d’autres activités comme au sein de la Ligue de l’enseignement.
On n’en finirait pas, et c’est ce ruissellement qui compte. C’est de lui dont a essayé ici de donner l’idée, de la manière la plus concrète, la plus au ras des pâquerettes possible. Puisque ce sont ces pâquerettes-là qui importent.
N.B. La mobilisation pour l’ACC a donné lieu à un très grand nombre de textes qu’il était impossible de tous reproduire ici. L’ensemble des documents est accessible en cliquant le lien ci-dessous:
http://www.cahiersducinema.com/article1801.html