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La mort était son métier

Par Bix

Mais, lorsqu'on utilisera cet exposé, je voudrais qu'on ne livrât pas tous les passages qui concernent ma femme, ma famille, mes mouvements d'attendrissement et mes doutes secrets.
Que le grand public continue donc à me considérer comme une bête féroce, un sadique cruel, comme l'assassin de millions d'êtres humains : les masses ne sauraient se faire une autre idée de l'ancien commandant d'Auschwitz. Elles ne comprendront jamais que, moi, aussi, j'avais un cœur.

Cracovie, février 1947. Rudolf Hoess.

je viens de finir la biographie de Rudolf Hoess, le commandant SS du camp d'Auschwitz entre 1940 et 1943 (il devient ensuite superviseur des camps) dont la vie fut romancée par Robert Merle dans La Mort est mon métier. Le moins que l'on puisse dire c'est que c'est glaçant et terrifiant. Grâce à la fiction, j'avais déjà un peu réfléchi sur la mentalité des personnes qui accomplissaient les ordres les plus affreux. Avec cette biographie, on pénètre l'esprit d'un des donneurs d'ordre, lui même subalterne de Himmler, avec tout ce que cela comporte de mauvaise foi, de mensonge par omission. Le tout avec des réflexions sur les Juifs, les femmes, les homosexuels tout ce que n'aiment pas les Nazis affirmées avec applomb et naturel.

Effectivement, il doutait et s'en cachait, affichant un masque d'indifférence devant les exécutions de masse, les gazages, les fosses communes, les mères et leurs enfants entraînées sous les "douches" ; gardant une foi sincère en les ordres et ne laissant rien transparaître à ses subordonnées qui lui faisaient part de leurs propres doutes ou leurs questionnements face à tant d'horreurs[1].

Il a fait le job, comme des centaines de milliers d'autres personnes, comme les gendarmes français, comme certains préfets. Tout simplement. Cette banalité du mal[2] qu'on a retrouvé dans le génocide tutsi au Rwanda et présente à tous les échelons de l'administration nazie. Une banalité tellement forte que Hoess répète à plusieurs reprises que pas un seul prisonnier n'a été maltraité dans ses camps en raison de ses ordres, mais toujours à cause de l'inorganisation. De la part d'un des concepteurs des chambres à gaz, c'est très fort. Mais probablement sincère et c'est hallucinant.

Geneviève Decrop, l'historienne qui a écrit la préface et la postface de l'édition que j'ai lue précise que ce document est remis en question par les négationnistes de la Shoah. Hoess aurait écrit sous la torture, raconté ce qu'on avait envie d'entendre, etc. Évidemment.


Un peu hors-sujet, 3 bouquins lus récemment que je conseille chaudement :

  • Malevil, Robert Merle. Holocauste nucléaire total en 1979, histoire d'un groupe de survivant dans un village français.
  • World War Z, Max Brooks. Un historien mandaté par l'ONU recueille des témoignages d'acteurs ou de simples survivants de l'épidémie zombie qui a ravagé le monde.
  • Le rapport de Brodeck, Philippe Claudel. Brodeck rédige un rapport sur un meurtre collectif dans un village - allemand ? polonais ? tchèque ? - et part en digressions personnelles sur sa vie dans les camps.

Notes

[1] "Horreurs" est un mot bien faible.

[2] © Hannah Arendt


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