Si l'on tente de résumer le déroulement de cette 120ème semaine de Sarkofrance, on est frappé par un décalage: le pouvoir en France n'agit plus, il réagit. Il ne réfléchit plus, il masque. Il ne décide plus, il escamote. Même la libération conditionnelle et contrainte de Clotilde Reiss dimanche dernier a escamoté quelques instants l'échec de la politique étrangère. Les ministres se sont succédés dans les médias, figés et maladroits dans des exercices de communication à répétition.
Sarkozy se réjouit à tort
Dimanche 16 août, à une heure malheureusement trop tardive pour les journaux télévisés, la Présidence de la République pouvait enfin communiquer une bonne nouvelle: Clotilde Reiss avait quitté sa cellule iranienne et rejoint l'ambassade de France. Même si le sort définitif de la jeune Française n'est pas réglé, Nicolas Sarkozy ne pouvait attendre. Il fallait crier victoire, remercier la Syrie, montrer au monde - et aux Français - que "Speedy Sarko" est de retour : "Dès la sortie de prison de Clotilde Reiss, le Président de la République s’est entretenu avec elle. Il lui a exprimé sa joie et son plein soutien ainsi que celui de tous les Français, qui ont suivi avec inquiétude son arrestation et la procédure judiciaire à laquelle elle est soumise." On ne répétera jamais assez combien Nicolas Sarkozy a adopté la mauvaise attitude vis-à-vis de l'Iran. Alors qu'il est toujours si prompt à accueillir bras ouverts tous les dictateurs du monde, Sarkozy a usé et abusé de déclarations peu diplomatiques contre l'Iran, tout en lui promettant le nucléaire civil en cas de renconcement à la bombe atomique. Pour Sarkozy, il y a deux types de dictatures dans le monde: les utiles et les autres. Les premières méritent tous les honneurs, tapis rouge, photos officielles, réceptions et bises de Carla. Les secondes sont traitées avec mépris et dureté. La Sarkofrance pardonne aux unes leurs crimes et délits, et donne des leçons de morale aux autres. Où est la crédibilité ? Ces dernières semaines, l'Iran a rappelé à Nicolas Sarkozy qu'elle savait se rendre incontournable.
En Afghanistan, l'échec est tout aussi évident. La France joue les caniches de l'OTAN. Là-bas, le scrutin présidentiel a eu lieu jeudi comme prévu. Comment ne pas se réjouir d'une élection dans un pays qui en a rarement connu ? Malheureusement, elle ressemble surtout à une opération de communication, parfois incompréhensible: un coût faramineux (250 millions de dollars financés principalement par les Etats-Unis), des menaces et des attentats qui ont nuit à la participation finalement médiocre (entre 40 et 50%), une profusion de candidats (41 ramenés à 35 la veille du vote), un scrutin calé la veille du ramadan (ce qui repousse le second tour en ... octobre !), et pour finir, deux candidats qui se réclament victorieux dès le premier tour. Bienvenue à la démocratie ! Aux Etats-Unis, Barack Obama a prévenu que la pacification du pays serait d'autant plus longue et difficile que les Talibans ont pris le dessus. En France, Nicolas Sarkozy et ses proches préfèrent un vocabulaire bushien pour justifier le renforcement de l'intervention Française; ils refusent de parler de bourbier. Ils aboient des intentions droits-de-lhommistes qu'ils ne respectent nulle part ailleurs.
Aucun discours de vérité n'est-il donc possible en Sarkofrance ?
Inventer la droite "plurielle"
C'est le concept imprévu de l'été. Le ralliement de Philippe de Villiers et des chasseurs de CPNT au "comité de liaison" de la "majorité présidentielle" n'en finit pas de faire jaser. Quelques (rares) dents grincent à droite, telle Christine Boutin. Jean-Marie Bockel, transfuge socialiste de mai 2007, s'est déclaré gêné par ce durcissement à droite. Peut-être croyait-il participer à un gouvernement de centre-gauche ? La presse présente l'initiative comme un nouveau succès de Nicolas Sarkozy. Ce serait la preuve que le Monarque réussit là où la gauche échoue, le rassemblement de son propre camp. D'ailleurs, les sondages sont paraît-il bons: "Du soleil pour Sarkozy" titre le JDD.fr, qui publie une enquête IFOP soit-disant favorable au chef de l'Etat. Lisons donc: 54% de mécontents, dont 20% de très mécontents; contre 45% de satisfaits, dont un ridicule 7% de "très satisfaits". Voici le fan-club sarkozyen: 7% des Français interrogés.
Si l'opposition n'est pas très bien lotie, l'ouverture à droite ressemble davantage à une belle tartufferie. Agréger deux mouvements qui collectivement pèsent moins de 3% des voix n'est pas franchement un rassemblement.
Eric Besson, lui, a avalé la pilule avec la gourmandise des nouveaux convertis: il n'a pas d'états d'âme. A peine rentré de vacances, il a filé rendre une visite de bon militant à la caravane de l'UMP, échouée à Marseille. Sur place, il a expliqué qu'il a trouvé trouvé "plus intéressant, plus subtil et plus complexe" qu'il ne l'imaginait.
Formidable Eric Besson. Nicolas lui a donné la foi.
Grippe et autres complications
Dimanche, Luc Chatel s'exprimait sur la grippe A H1N1. Il a prévu de faire fermer les établissements affectés par trois cas de grippe A consécutifs ou simultanés la même semaine. Pour rattraper les cours en cas de pandémie trop massive, les élèves seront invités à regarder France 5. Et concernant les dispositifs de garde des enfants malades, Luc Chatel renvoie vers "la solidarité familiale" ou "de voisinage". Pour le ministre d'un président qui a fait campagne sur le thème du service minimum garanti dans les transports et les écoles, le paradoxe ferait sourire si la situation n'était grave. Lundi, accompagné de nombreux journalistes, il visitait un magasin Intermarché à Villeneuve-Le-Roi (Val-de-Marne), à l'occasion de début de l'opération "LES ESSENTIELS DE LA RENTRÉE", une sélection de produits scolaires à bas prix. L'opération de com' a échoué. On a retenu qu'Intermarché avait bourré les allées de ses salariés, et que les rares mères de familles présentes étaient des militantes UMP. Les familles pensent à la grippe A. Douze établissements scolaires et 61 classes ont été fermés à Tahiti. En Polynésie française, la grippe est sévère. Les autorités dénombrent trois décès (deux femmes et un nourrisson) et "plus de 10.000" personnes infectées.
Lundi 17 août, Christine Lagarde a une fois de plus joué l'autruche. Interrogée sur la régulation des rémunérations variables dans les banques, la ministre des Finances a repris à son compte les timides recommandations de l'autorité de régulation britannique, la FSA, publiées la semaine dernière: Lagarde refuse donc de taxer très fortement les bonus importants tant que les places financières étrangères telles Singapour, Londres ou Luxembourg ne suivaient pas l'exemple. La ministre encourage les banques françaises à s'accorder entre elles pour appliquer de bonnes pratiques et éviter de se faire la "guerre des bonus" pour "attirer les meilleurs talents". Il n'a donc pas fallu attendre longtemps, à peine 8 mois depuis le crac financier de l'automne 2008, pour que Lagarde oublie que ces "meilleurs talents" n'étaient autres que ces traders qui ont planté le système.
Masquer l'échec sécuritaire
Lundi, Brice Hortefeux s'est énervé contre sa propre administration. Une démarche peu élégante, mais très empruntée à son patron de président quand il était lui-même à l'Intérieur: désavouer ses collaborateurs subalternes plutôt que d'assumer ses difficultés n'est sans doute pas très digne. Qu'importe pour le ministre. Il fallait corriger le tir. Les "Cadets de la République", louable mais symbolique invention sarkozyenne de 2003, n'auraient pas accès aux rangs de la police cette année, faute de budget. Il est vrai que Nicolas Sarkozy a prévu de supprimer 8 000 postes au sein des effectifs de police cette année. Le sang du ministre n'a fait qu'un tour. Grosse colère dans le Figaro. Mercredi, le Canard Enchaîné révélait qu'Hortefeux était parfaitement au courant du problème: tous les recrutements de la police nationale sont gelés, pour cause de rigueur budgétaire. Vendredi, le ministre réajustait le tir, en confirmant le recrutement en 2009 de 900 cadets de la république, 900 gardiens de la paix et 600 adjoints de sécurité
Second coup dur, les dernières statistiques de la délinquance en France ont été publiées cette semaine par l'Observatoire National de la Délinquance (OND). Les résultats des 12 derniers mois sont très mauvais: les violences physiques (coups et blessures, menaces, atteintes aux mœurs, actes contre la famille et l’enfant, etc) progressent de 4,3%, et en particulier les violences gratuites (+5,4%), et les menaces et chantage (+2,9%). Les taux d'élucidation baissent encore, qu'il s'agissent des atteintes aux biens ou aux personnes. Brice Hortefeux "riposte". Il cible ses commentaires sur les cambriolages (+12% sur 12 mois pour les cambriolages de locaux d’habitations principales), et désigne "l'ennemi". Ce sont des "jeunes", très organisés en "bandes" qui cambriolent nos campagnes et nos pavillons... Evidemment ! "L'ami de trente ans" du Président prend des mesures immédiates : il avance ses réunions de rentrée avec les directeurs départementaux de la sécurité publique, les commandants de groupement de la gendarmerie», et les préfets. Et il promet de porter à 60 000 le nombre de caméras de surveillance d'ici 2011. Sarkozy avait fait la même promesse ... en 2007 pour 2009.
Depuis 2002, Nicolas Sarkozy est parvenu à subtilement masquer son échec en matière de lutte contre l'insécurité. L'ancien maire de Neuilly a bousculé le parlement avec des lois à répétition. Cette incontinence législative a diverti l'attention publique. Puisqu'on légifère, c'est qu'on agit. Sept ans après, le bilan est mince : la délinquance globale diminue car le nombre d'atteintes aux biens recensés diminuent. Le taux d'élucidation de ces actes-là est ridiculement faible (13%) depuis 2003. Les violences aux personnes, elles, ne cessent de progresser depuis que Nicolas Sarkozy a pris le sujet de l'insécurité à bras le corps: moins de 350 000 actes en juillet 2003, 454 318 en juillet 2009. Bravo patron !
Pour Michèle Alliot-Marie également, les vacances sont terminées par anticipation. Une nouveau suicide de détenu en prison, et la situation carcérale devient le sujet du jour : la garde des Sceaux sort un rapport de son chapeau, réalisé 6 mois plus tôt, dont elle demande l'application "immédiate" des recommandations. Fallait-il un suicide pour qu'elle bouge ? On retiendra notamment que les détenus "fragiles" seront donc prochainement dotés d'un kit "anti-suicide": des draps et couvertures qui ne se déchirent pas et de pyjamas jetables en papier, et que tous les "points permettant un arrimage facile d’un lien" doivent être éliminées de leur cellule. La situation carcérale est un sujet méprisé par le Monarque. Ministre, puis président, Nicolas Sarkozy a toujours exclusivement concentrer son discours sur les victimes. Les détenus n'ont pas leur place dans son discours sécuritaire traditionnel. Depuis 2007, la surpopulation des prisons a été aggravée par une politique répressive inefficace, à base de peines planchers et de mesures antirécidive. A peine arrivée à la Justice, Michèle Alliot-Marie ne change rien. Plutôt que de travailler la réinsertion des détenus et l'amélioration des conditions sanitaires, la ministre appelle à repérer et empêcher les comportements suicidaires.
Une réponse attentiste, et inefficace, qui témoigne d'un mépris persistant.
Une France décrédibilisée et menacée à l'étranger, des ministres en défense, une rentrée qui s'annonce grippée... Il est temps que les vacances se terminent.
Ami Sarkozyste, où es-tu ?