DEMAiN... Yiannis Lhermet

Par Collectif Ratures // Poésie // Grenoble

   Il arrive tremblant. Il sait l’effet que les premières gorgées vont lui faire. S’oublier à tout prix, s’oublier…Il se dit que cette fois ce sera différent, qu’il boira raisonnablement.

   Il trempe ses lèvres dans le liquide, il savoure de petites gorgées. Il sait qu’il se retient.

   Il recommande un verre… après tout, cela ne peut pas lui faire de mal…

   Son palais s’assouplit, sa gorge retrouve de son humidité, c’est tout son être qui se détend. La fumée est moelleuse au contact de l’alcool…S’oublier…y croire à nouveau…rêver même.   Pour Didier avec un verre tout redevient possible, l’avenir n’est plus ce gouffre immense où il s’enlise quand il est sobre. L’avenir…demain…demain…oui !

   Si seulement tout était différent, s’il avait eu quelque chose à faire de sa journée, il n’aurait pas bu, il en est sûr, il le sait, se le dit, s’en persuade. Et puis quoi ! Ca fait une semaine qu’il n’a rien bu. Cette fois-ci ce sera différent.

   La chaleur monte dans sa tête ; ses yeux le piquent un peu, sa main gauche palpe ses joues :

   - La même chose, s’il vous plaît !

   L’heure tourne… il est bien…La musique s’égrène, il regarde autour de lui. Il n’est pas seul à boire. Un gars au comptoir a l’air bien éméché déjà, ça le rassure. Il se prend à sourire, à dire un mot gentil à la serveuse qui pose sur sa table des cacahuètes. Voilà une semaine qu’il ne s’était pas senti aussi serein. Il est bien…l’avenir…demain…

   - Décidément, la cigarette avec l’alcool, c’est incomparable !

   Il écoute en lui monter l’effet du Whisky, son corps semble redevenir lui-même, c’est étrange cette sensation. Mais plus il boit, plus il a envie de boire et plus il boit, plus il boit vite…Trois, quatre, cinq verres… Il n’est jamais rassasié. Il se laisse aller, on verra bien demain, demain…Il se lève ! Va aux toilettes, sa démarche est moins assurée. La glace…ses yeux ont changé, son visage n’est plus le même…il ne pisse pas droit…

   Il est seul, il se sent seul.

   Tout à coup ses démons ressurgissent… vagues, informes. C’est tout le poids de la réalité qui pèse sur lui : son travail, ses rancœurs, son impuissance face à la vie. Mais il est saoul et il balaye tout ça d’un rien à foutre solennel suivi d’un rot.

   Vers vingt heures le spectacle est fini. Il ne sent plus son corps, les pensées brouillées se succèdent, il a envie de parler mais il est seul.

   Le visage de Florence flotte dans son esprit entouré de celui d’autres femmes. A la dérive, il cherche tant bien que mal à se lever, à bouger sa carcasse.

   Il s’éveille le lendemain. Comment est-il rentré chez lui ? Il ne s’en souvient plus.

   Sa gorge est effroyablement sèche et âpre. Les flashs se succèdent : le bar…le whisky…En se levant il voit une pizza sur la table, à peine entamée… ça lui revient… il l’a achetée en rentrant…

   Il fouille dans ses poches. Elles sont vides ! Il a honte de lui, tellement honte !

   Une douche… ça va déjà mieux, il y pense un peu moins. Il se persuade que ce n’est pas grave… La journée est foutue. Il va faire des courses, rachète un pack de bières, c’est le seul moyen d’émerger, pense-t-il.

   Et puis ce n’est pas grave, demain…demain…demain…