Quelques piqures de rappel m'ont intéressé dans cet ouvrage, ce sont des points de détail mais ils sont capitaux à mes yeux. Voici donc quelques notes de lectures subjectives (dans leur choix) de cet ouvrage :
* "il n'y a pas de philosophie islamique pas plus qu'il n'y a ou a eu une philosophie juive ou une philosophie chrétienne" mais "un usage de pensées philosophiques de la part de musulmans, de chrétiens et de juifs". Il faut avouer que le terme de philosophie islamique (au lieu d'arabe) est maheureusement encore répandu, et il laisse croire que l'islam serait porteur d'une philosophie (et non d'une sagesse - hikma en arabe). Or, ce qui s'est produit c'est que quelques individus isolés ont philosophé mais ce n'était pas dans le cadre d'une institution musulmane (laquelle d'ailleurs ne voyait pas forcément d'un bon oeil ces "philosophes", Ghazali, l'auteur d'une synthèse entre le soufisme et le sunnisme est l'auteur d'une oeuvre célèbre La destruction (tahafut) des philosophes !).
* Allez chercher le savoir ('ilm) , fut-ce en Chine ! Ce hadith du prophète Muhammad est bien connu mais comme le rappelle Brague, 'ilm tout seul en arabe (sans rapport d'annexion: la science de quelque chose) renvoie uniquement à la science religieuse: il ne s’agit nullement de physique, de botanique ou d’ethnologie, mais de ‘ilm, c’est-à-dire, comme l'indiquent les hadith parallèles, des traditions sur les faits et gestes du Prophète, qu’il faut aller recueillir le plus directement possible, de la bouche même des compagnons les plus dispersés. Plutôt que de la «science» en notre sens, le hadith fait en réalité l’éloge du savoir religieux. Au fond, ce hadith loue la science du hadith elle-même.
* A propos d'al Kindi: "Je rappelle que les philosophes arabes postérieurs, de Farabi à Averroes, l'ignorent purement et simplement, ne le citent jamais, ne le nomment même pas". Là aussi, sain rappel. Si les livres présentent al Kindi toujours en premier, suivi de Farabi, ils laissent croire qu'au fond il y a entre ces deux philosophes le même rapport qu'entre Platon et Aristote. Le problème dans la philosophie arabe est que Farabi est à Bagdad et Averroes en Espagne. l'empire musulman est vaste, ce qui implique que les philosophes n'ont pas forcément accès aux mêmes textes. Ils ne sont pas de mêmes origines et si la théorie laisse croire à une unité en parlant de philosophie arabe, il faut être très méfiant.
* Averroès était-il un gentil ? Le titre du dernier article va à contre-courant de la tendance à faire d'Averroès Le champion de la tolérance. Or l'était-il ? Une simple lecture de son "commentaire" de La République de platon nous rappelle qu'il était d'accord avec la mise à mort des hétérodoxes et qu'il approuve les grecs dans leur élimination des enfants handicapés. Sans doute y avait-il des esprits subtils et tolérants en terre d'islam mais choisir le nom d'Averroès est de toute évidence peu appropié pour servir la cause de l'islma tolérant.
Voilà donc un livre intéressant car démystifiant de tout côté ce moyen-âge que l'on voudrait tantôt obscurantiste, tantôt tolérant. Il n'est ni l'un ni l'autre. Sans doute rêvons-nous aujourd'hui d'un futur où un islam pacifié coexisterait dans le dialogue philosophique avec le monde chrétien et juif. Pourquoi pas. Mais ce futur reste à construire, il ne se trouve pas tout fait dans le passé et quand on reste à ressusciter la soit disante paix des religions de l'Espagne médiévale, on commet au fond la même erreur que le monde musulman quand sa partie extrême cherche à ressusciter l'époque du prophète Mahomet. Leçon difficile à entendre mais qu'il faudra bien accepter si l'on veut aller de l'avant.