Dans la touffeur de la nuit qui aura vraisemblablement été la plus chaude de cet été – 30 ° à l’intérieur de minuit à 6 heures du matin ! – écroulée devant l’ordinateur comme Tubarào étalée de tout son long au pied de la colonne du ventilo et cette fois musicalement accompagnée par Stan Getz, mon attention fut attirée par la «une» de Libé au titre accrocheur : Supercherie au supermarché, non moins que le sous-titre «Le ministre de l’Education, venu dans un supermarché du Val-de-Marne vanter le blocage des prix des fournitures scolaires, y a croisé des «clientes» étonnamment complaisantes»…
J’y subodorais une manœuvre aussi transparente que le subterfuge utilisé l’an dernier par Nadine Morano dans une grande surface du Sud de la France où le prétendu Candide n’était rien moins qu’un élu local de l’UMP. Ici, la chose se compliquait puisque parmi les «commères» - on utilise le terme «compère» dans les labos de psychologie sociale pour désigner le tiers complice – serait une élue de droite habitant à une quarantaine de kilomètres mais ayant des attaches familiales à proximité de l’Intermarché de Villeneuve de Villeneuve-le-Roi (Val de Marne) où s’est produite cette mascarade digne de la commedia dell’arte.
J’ai lu tout et son contraire à son sujet. Elle serait, aurait précisé Luc Chatel «comptable au siège d’Inter-marché».et Xavier Bertrand démentirait qu’elle fût inscrite dans le fichier de l’UMP. Mais si elle est conseillère municipale d’une bourgade de Seine-et-Marne, rien ne l’empêche d’être sympathisante….
Il apparaît bien que ce serait Intermarché – sans que l’on puisse déterminer que ce soit à l’échelon de la direction locale ou nationale – qui aurait organisé ce «casting»… qui ne fut sans doute pas de rêve car les «figurantes» ont été trop godiches à en croire Libé :
«A 10 h 45, selon plusieurs témoins, une petite dizaine de femmes, type mère de famille idéale, débarquent ensemble dans le supermarché. Elles prennent des chariots mais se comportent de façon très étrange, selon une journaliste reporter d’images de France 3 : “Elles se saisissent de quelques affaires au rayon des fournitures scolaires, mais au lieu de continuer à faire leurs courses, elles restent là, à attendre en rang d’oignons”. La présence de ces clientes modèles est d’autant plus heureuse que quelques heures plus tôt, lorsqu’il contacte l’Intermarché de Villeneuve-le-Roi pour obtenir une autorisation de filmer, un journaliste télé se voit répondre “qu’il risque de ne pas y avoir grand monde”»… La direction y aura pourvu..
La suite vaut également son pesant de cacahuètes : «Vers 11 h 30 – cela veut dire que les “figurantes” ont fait le pied de grue dans le rayon pendant trois quart d’heures ! - Luc Chatel arrive en compagnie d’Hervé Novelli, secrétaire d’Etat au Commerce. Célia Quilleret, journaliste à France Info, décrit l’attitude de ses femmes, «plantées au rayon fournitures scolaires derrière le ministre». Le doute s’installe chez les journalistes, dont beaucoup refusent d’interviewer ces «étonnantes clientes» et font part de leur suspicion à l’attachée de presse de Luc Chatel. D’après les journalistes la conseil-lère «gênée et écarlate» dément catégoriquement que ces consommatrices aient été dépêchées, mais s’inquiète d’éventuelles retombées de l’affaire (…)
Une des clientes se met alors «sur le chemin du ministre, de sorte qu’il ne puisse pas la louper», raconte Célia Quilleret qui, après s’être interrogée sur l’attitude à adopter, lui tend son micro. Son nom, Virginie Meyniel. Elle se présente comme une mère de famille qui ignore tout de la visite du ministre et profite de ses vacances pour anticiper le rush de la rentrée. A Luc Chatel qui lui demande : «Connaissez-vous “les essentiels de la rentrée” ?» elle répond par l’affirmative et s’enthou-siasme «des prix intéressants et assez bas»…. Petit hic : C’est la conseillère de droite d’un village de Seine-et-Marne et probable collaboratrice au siège d’Intermarché.
Mise en scène, bien évidemment : «Plusieurs journa-listes ont vu les clientes modèles repartir sans achats, certaines, dans le même véhicule. Plus tard, des vendeuses rangeaient sans trop savoir pourquoi des fournitures scolaires laissées dans les paniers et chariots»… Ou comme le dit un inter-titre d’un article de «20 minutes» Quand Intermarché fait la claque à Luc Chatel «Au bon endroit, au bon moment»…
Je veux bien admettre que le ministre de l’Educ-nat n’en soit pas responsable et qu’il réprouve ce genre de bidonnage. Il n’en reste pas moins vrai qu’un tel épisode est significatif du sarkozysme ambiant : le Troll de l’Elysée n’ayant de cesse de mettre tout le monde à sa botte sauf à encourir colère et vengeances – certains préfets ou hauts responsables de la police l’ont appris à leur dépens ! – il est possible que des responsables de telle ou telle enseigne voulant préserver leurs intérêts – surtout étant partenaires d’une opération gouverne-mentale – au point de prévenir les désirs de membres du gouvernement venant en visite forcément médiatisée dans leurs magasins. Ou quand la déférence frise l’obséquiosité !
Mauvaise pioche ! Eu égard à la polémique qui n’a pas manqué c’est totalement contre-productif en matière de publicité… Je constate néanmoins avec plaisir que les journalistes sont désormais plus que réservés sinon carrément méfiants quant aux opérations de commu-nication des membres du gouvernement. Il en va de leur crédibilité.
A priori selon les éléments recueillis par Claire Gatinois et Sophie Landrin pour un article paru dans Le Monde du 21 août 2009 Communication politique : les ratés du tout-image il ne s’agirait pas de salariés du super-marché de Villeneuve-le-Roi : “On se connaît tous, cela ne serait pas passé inaperçu”, assure un responsable de la sécurité», une vendeuse du rayon traiteur ajoutant : “Aucun salarié n’aurait voulu être à ce point manipulé”… Par ailleurs, le directeur du magasin est présenté comme «un homme droit» peu susceptible d’organiser une telle mise en scène.
A Intermarché, aurait-on voulu faire oublier un épisode fâcheux : en février, lors d’une opération “vérité” sur la baisse des prix à l’Intermarché de Gif-sur-Yvette (Essonne), une cliente avait fermement contrarié M. Chatel alors secrétaire d’Etat assurant que pour elle les prix ne baissaient pas du tout… Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire ! Surtout quand elles contrarient la «com» ministérielle…
Le Monde met particulièrement l’accent sur les stratégies de communication des ministres. A lire cet article, nombre de questions sont permises. Sauf à douter que la bonne foi de Luc Chatel aurait été surprise… Parce que les visites des ministres sont réglées au cordeau par les membres de leur cabinet pour que rien ne puisse être laissé au hasard :
«Il est de tradition cependant que le cabinet d’un ministre organise en amont d’un déplacement, une visite préparatoire des lieux pour régler jusqu’au détail, la venue du représentant du gouvernement. “Le moins que l’on puisse faire, c’est de rencontrer, au préalable, le patron national de l’entreprise, puis le responsable de l’établissement”, explique le chef de cabinet d’un ministre. “Avec les téléphones portables, qui filment nous savons, que tout déplacement, toute intervention d’un ministre peut se retrouver immédiatement sur le net. D’où la tentation de tout verrouiller.».
Cet incident est l’occasion pour de nombreux titres de rappeler, outre le précédent de Nadine Morano l’été dernier, celui d’Olivier Stirn en 1990 : alors qu’il était ministre du Tourisme du gouvernement Rocard il avait rétribué des figurants pour remplir la salle à l’occasion d’un colloque sur l’avenir de la gauche. Il avait été contraint de démissionner, une fois la supercherie découverte.
J’ai d’autant plus de raisons de m’en souvenir – sauf la date exacte – que, le sujet m’intéressant et disposant d’un peu de temps libre car j’étais étudiante à l’époque, j’avais envisagé de m’y rendre… Je doute cependant que l’on eût rétribué ma prestation, étant donné le peu de tropisme du fric pour mémé Kamizole !
Cette peu glorieuse histoire a même traversé l’Atlantique… Le New York Times l’évoque dans ses colonnes selon “20 minutes” L’opération com’ de Luc Chatel épinglée par le «New York Times» avec une petite pointe d’humour pas trop méchant – les opérations de communication politique étant monnaie courante aux Etats-Unis. Le quotidien new-yorkais acceptant au demeurant les versions de Châtel et Intermarché dont des salariés «ont dû jouer les figurants au cours de la visite du ministre» à l’insu du plein gré de celui-ci.
Le journaliste, Steven Erlanger, n’en relève pas moins que Philippe Chatel s’est trouvé «dans de beaux draps à cause de cette visite supposément arrangée», le quotidien rapportant également «la présence dans le supermarché de Virginie Meyniel, «une femme politique affiliée à la majorité, qui a déclaré qu’elle se trouvait là par hasard».
En matière de «bidonnage» Nicolas Sarkozy donne le «la» !
L’article cite fort opportunément quelques cas mani-festes… «Le chef de l’Etat et le chef de gouvernement ne sont pas en reste. Pour mieux contrôler “l’image”, et éviter toute contre communication, toute réaction hostile, les équipes de l’Elysée n’hésitent pas à scénariser les visites du président, en particulier dans les usines qu’il affecte tant (…) En 2008, M. Sarkozy à l’usine Porchain de Verberie avait rencontré de faux ouvriers, des agents de maîtrise déguisés. Pendant la campagne présidentielle de 2007, dans une forge des Ardennes, où il avait évoqué son fameux slogan “travailler plus pour gagner plus”, ses équipes avaient soigneusement sélectionné les ouvriers à qui il s’adressait. Le premier ministre, François Fillon, pour contrôler son image, dispose, lui, de ses propres équipes de télévision…»
A Villeneuve-le-Roi il s’agissait de faire dire à ces «clientes modèles» triées sur le volet - «qui ont «manifesté un enthousiasme surfait sur le coût de la rentrée scolaire» - que le prix des «essentiels» de la rentée 2009 – beaucoup d’enseignes participent à cette opération – serait en baisse…C’est évidemment vrai – de 1% à 3 % selon la plupart des quotidiens sauf pour Le Figaro qui ne va pas tirer contre son camp : - 8,7 % - mais il s’en faudrait de beaucoup que la qualité soit au rendez-vous selon l’association Familles de France… fournitures pas chères, mais vraiment cheap. La mauvaise qualité est toujours bien trop chère !
Sur un des articles de «20 minutes» Prix du cartable: pour la FCPE, la consultation doit se faire «en amont» je lis «Reste à savoir si le sac à dos à 2,50 euros tiendra vraiment le coup après deux mois de cours»… et sur un autre – témoignages de parents d’élèves - Vos cartables pour la rentrée : «2€50 le sac à dos au collège, avec tous les bouquins, le sac tient une semaine les coutures ont pété».
Pour ma part, étudiante tardive – mais point trop attardée, osè-je espérer – j’ai connu il y a entre 15 et 20 années des cahiers pas chers sur lesquels il était interdit d’écrire au verso car l’encre de mon stylo transpa-raissait… Quant aux stylos, qu’ils fussent à plume ou à bille, les premiers prix des grandes surfaces sont de fort piètre qualité, refusant quasi tout le service auquel ils sont en principe destinés : laisser une trace écrite bien visible sur un support. Il y a déjà pas mal de temps que j’y ai renoncé.
Si la crise et les problèmes de pouvoir d’achat qui ne datent pas d’aujourd’hui ! pouvaient avoir quelque vertu ce serait certainement de mettre un terme à l’absurdité qui prévalait il y a encore peu : la compétition dans les produits siglés, les marques, etc… les enfants étant quasi sommés d’en faire étalage au risque de passer pour minables.
Bien dans l’esprit (?) d’un Sarko selon lequel paraît-il ne pas posséder de Rollex à 50 ans signifierait avoir raté sa vie ! Ne confondant pas l’être et l’avoir non plus que le paraître, je ne saurais sans doute jamais si j’ai réussi ou non ma vie mais cela ne me trouble nullement de ne point avoir de montre de luxe – à «montrer» ! – à 62 ans.
En dehors de cette opération de «com» - apparemment Luc Chatel ne serait pas responsable de cette mise en scène qui l’aurait choqué et le groupe Intermarché seul responsable a présenté ses excuses «aux ministres et aux journalistes présents»… mais le doute persistera : perso, je me demanderais toujours si Intermarché ne «porte pas le chapeau» d’un bidonnage qui aura foiré grâce à la méfiance des journalistes et accepte d’assumer en raison du tollé médiatique - il reste à savoir si les chiffres avancés par le ministre de l’Education nationale «qui promet un cartable entre 20 euros pour les primaires et 45 euros pour les lycéens» sont crédibles…
A l’évidence non, selon des parents d’élèves interrogés et l’article de «20 minutes» Rentrée 2009: 20minutes.fr a fait son cartable où les journalistes ont rempli un «panier type» à partir de la liste des fournitures demandées – choisie au hasard d’une recherche sur internet - à un collégien, élève de 4e, allemand LV1, anglais LV2, avec option latin du collège Jean-de-la-Varende, à Mont-Saint-Aignan, dans l’académie de Rouen.
Or, la note est drôlement plus salée… bien que les journalistes aient respecté les conseils de Luc Chatel : «Dans notre panier de courses, pas de fioriture, pas de marque, que les premiers prix»… Déjà 101,86 euros. Et ce n’est pas terminé car il faut ajouter deux cahiers d’exercices en langues (7,50€ + 7,20€), des livres pour le français (de 10 à 15 euros) plus 56,20 euros pour les affaires de sport – en choisissant les articles les moins cher tout en respectant la liste : 25,90€ pour le survêtement, 7,90€ pour les chaussures de sport, 7€ pour le vêtement de pluie, 5€ le maillot de bain, 5,90€ la serviette de piscine, 1€ le bonnet de bain, 3,50€ les lunettes de piscine… Donc 182,76 euros au total ! Ce qui correspond grosso modo à ce qu’avancent la plupart des parents d’élèves.Parmi les témoignages de parents d’élèves cités par «20 minutes» je retiens celui de Laurine : «J’ai déjà acheté la liste de mon fils que nous avons eue dès la fin du mois de juin, il rentre en sixième. Et bien je m’en tire avec 200 euros et je n’ai pris que le minimum en faisant attention aux prix, le seul petit plus a été de lui prendre un cartable sympa sur lequel j’ai quand même eu 15% de réduc. Je n’ai pas droit à la prime rentrée bien que mère célibataire, le gouvernement me trouve trop riche et pour couronner le tout j’ai perdu mon boulot en janvier.»
Sans doute faudrait-il réviser les critères d’attribution et notamment tenir compte de la situation des parents au moment du versement de l’allocation de rentrée scolaire et non pas celle de la déclaration d’impôt qui porte sur l’année précédente. Cela vaut d’ailleurs pour toutes les prestations familiales ou autres servies par la CAF qui ne révise la situation des intéressés qu’une fois par an.
Ceci dit, je plaiderais encore bien davantage pour une prestation uniforme servie à toutes les familles et sans conditions de ressources. Ma proposition fera peut-être bondir certaines personnes. Mais je pense qu’elle tiendrait la route dans un système plus égalitaire – ne m’accusez pas de «communisme» cela n’a rien à voir ! – où les plus riches ne seraient pas à l’abri du fisc par des «niches fiscales» et autres «bouclier fiscal».
D’une part, je pense à ce qu’écrivait naguère Serge Halimi dans le Monde diplomatique quand il fut question de limiter ou supprimer les allocations familiales en fonction du revenu des ménages. La proposition était certes séduisante sur le plan de l’équité mais outre qu’elle sentait la démagogie à plein nez – Lionel Jospin voulait sans doute s’attirer la sympathie du peuple – elle présentait un inconvénient majeur que Serge Halimi mit en évidence en s’inspirant du modèle américain : quand des prestations sont réservées aux plus démunis, elles ont tendance à stagner voire régresser. Il suffit de constater que le niveau du RMI est stable en francs ou euros constants – compte-tenu de l’inflation – depuis quasi sa création.
D’autre part, je me souviens avoir lu il y a déjà pas mal d’années dans Le Monde la réflexion d’André Gorz qui plaidait pour un «revenu d’existence» universel et suffisant – pour laisser le choix entre travailler ou non sans être obligé d’accepter n’importe quel job ! Là aussi, l’attribuer à tout le monde sans conditions de ressources n’aurait de sens que si la fiscalité est juste.
L’égalité n’est détestable que lorsque l’on cherche à tout niveler, à nier les individus au nom des idéologies. L’individualisme n’est puant que si l’on veut que l’homme soit un loup pour l’homme et marche sur les têtes pour s’élever plus haut que ses semblables. L’idéal serait sans nul doute une société qui respecte les individus mais où tous se sentent solidaires de leurs semblables.
On s’écarte - de plus en plus ! - de cet idéal et je suis sans nul doute une incorrigible rêveuse humaniste…
SOURCES
20 minutes
Intermarché: Des figurants pendant la visite de Luc Chatel, à qui la faute?
Quand Intermarché fait la claque à Luc Chatel
L’opération com’ de Luc Chatel épinglée par le «New York Times»
Prix du cartable: pour la FCPE, la consultation doit se faire «en amont»
Vos cartables pour la rentrée
Rentrée 2009: 20minutes.fr a fait son cartable
Le Figaro
Chatel à Intermarché: un député réagit
Une visite de Chatel dans un supermarché vire à l’imbroglio
Le coût de la rentrée scolaire en baisse cette année
Le Monde
La visite très encadrée de Luc Chatel dans un supermarché
Communication politique : les ratés du tout-image
Libération
Supercherie au supermarché
Intermarché fait étalage de sa mise en scène UMP
Chatel fait ses courses: Intermarché tombe le masque
Intermarché fait étalage de sa mise en scène UMP
Rentrée: des fournitures pas chères, mais vraiment cheap
Des fournitures scolaires moins chères, affirme Chatel