Le commentaire de la une du Point du 19/08/09 – Sarkozy est-il de gauche? Par Jessica Thomas
Rose. Voilà d’abord ce qui interpelle, sur la couverture du Point, cette semaine. Puis le titre, qui sonne comme une question piège : Sarkozy est-il de gauche ? La réponse adéquate, banale, vulgaire en somme, attend sur le bout de la langue : Non. Mais, curieux de voir comment l’hebdomadaire réussira à remplir un dossier avec trois petites lettres, on ouvre l’étrange objet.
Sarkozy est coupé en deux dans le sens de la longueur. Sur la page de gauche, 11 visages. Des « gens de gauche » qui sont devenu sarkozystes, ou qui se trouvent mêlés aux discours sarkozyens. On remarquera la présence inattendue de Manuel Valls, et l’absence surprise de Jean-Marie Bockel, Bernard Kouchner, Eric Besson, Frédéric Mitterrand… Sur cette page, pas de ministres. L’idée est-elle de montrer que Nicolas séduit par-delà les rangs du gouvernement ? Sans doute. Même les morts se trouvent happés. Mais alors, pourquoi Léon Blum et Mitterrand sont-ils dans le trombinoscope, et pas Jaurès, ou Guy Môquet ? Les choix des photos semblent donc un peu aléatoires. Mais l’article, lui, est solide : un modèle de brosse à reluire.
Sarkozy, « homme incasable », qui « comme toujours, se dit « libre ». A tel point que « jamais (…) il n’a voulu de club politique à son nom ou de groupe de soutien. C’eût été déjà une prison ».Et cette première phrase, bientôt culte : « On parle si peu de Nicolas Sarkozy ».
Attention, ne soyons pas de mauvaise foi. La suite du paragraphe apporte une précision essentielle : par Nicolas Sarkozy, l’auteur entend « celui que d’aucuns, y compris parmi ses amis, présentent comme… un homme de gauche ». Même ses amis lui font cet affront ! C’est un peu fort…
La gauche Hadopi
Secouons nos neurones et reprenons. Peut-être que Le Point n’a pas la même définition de « gauche » que le lecteur. Voyons…« Gauche militante » : Jean-Jacques Beineix, Claude Lelouch, Bertrand Tavernier (le seul à figurer sur la page trombino : veinard !). Et Carla, bien sûr, Carla. Pourquoi ont-ils été rangés là ? Pour leur soutien à « Hadopi, l’autre nom de l’ouverture ».
Si l’on comprend bien, être de gauche, c’est donc être pro-Hadopi ! Alors oui, Sarkozy est de gauche.
L’article s’emploie donc à détailler les sujets de discussion dignes d’un homme de gauche. « Il pourrait parler des heures de Charlie Chaplin ou des films de Capra ». Mais pas avec n’importe qui, « avec Marin Karmitz ». « De musique », avec une seule personne : Patrick Zelnik, qui produit Carla. Ou encore « de l’état de la presse », avec qui cette fois ? Denis Olivennes (le Nouvel Obs va se réjouir de cette distinction…).
La vie quotidienne d’un homme de gauche tendance Le Point est palpitante. Un dîner avec Houellebecq, un week-end à New York avec visite du musée Guggenheim (à croire que la culture est l’apanage de la gauche ! C’est les hommes de droite qui vont être contents…), un concert de clarinette de Woody Allen, « icône vivante de la gauche bobo ». A quand le café de Flore ? demande Le Point. On retient son souffle…
L’auteur, méticuleux, tatillon même, se prend à lister toutes les actions sarkozyennes qui font de Mister President un dangereux gauchiste. La suppression de la publicité à la télévision, ou son engagement en faveur des droits de l’homme. Avec une réserve vite balayée grâce à une jolie technique de rhétorique de base : dire le mauvais, très vite, au début, pour tartiner le bon à la fin, et ainsi persuader le lecteur que le bon l’emporte sur le mauvais. Ainsi Sarkozy « invente un secrétariat d’Etat dédié aux Droits de l’homme. Ce qui ne l’empêche pas de recevoir Kadhafi en grande pompe. » Puis « dénonce la fraude électorale en Iran et réclame des sanctions contre la Birmanie. »
La brosse à reluire peut aussi se transformer en arme contre la gauche. Pardon, non, la gauche, c’est Sarko. Contre le PS donc, qui « a du mal à se démarquer », qui « ne suit plus », dont « les poches idéologiques sont vides ». Et même un peu contre Europe-Ecologie. Avec cette habile question, « qu’est-ce que l’écologie aujourd’hui sinon une idée de gauche mise en pratique par la majorité présidentielle ? » Ouille !
Le PS aurait dû profiter de la crise, mais ce « président à la pensée mobile » lui a coupé la chique, en se posant « en étatiste, pourfendeur des banquiers (oui oui !!!) défendant, main dans la main avec Lula, la création de garde-fous internationaux ». Il a même carrément des « accents altermondialistes » !
Oubliés, le bouclier fiscal, le service minimum, la tarification à l’activité, le travail le dimanche, le changement de statut de la Poste… la gauche à la Sarko, ce n’est pas de la politique : c’est de la com’.
La gauche de Villiers
A force de vouloir trop en faire, l’article tombe dans l’excès. Et se permet de flotter sur une information de taille, et d’actualité : il bégaie une seule petite phrase sur le ralliement cette semaine de Philippe de Villiers et de Frédéric Nihous à la majorité. Bah oui, ça faisait tache, sans doute, dans le portrait d’un quasi-communiste. Alors il se contente d’une information rajoutée à la va-vite, comme en urgence, entre deux phrases. Et commet des erreurs. « D’où le ralliement controversé du souverainiste Philippe de Villiers à l’UMP ». Or, De Villiers n’est pas seul : il y a Nihous. Et ils n’ont pas rallié l’UMP, mais le comité de la majorité. Ce n’est pas un secret. C’est même l’argument langue de bois numéro 1 pour faire taire la controverse. Controverse d’ailleurs plutôt faiblarde : seuls Bockel et Boutin se sont, un peu, énervés. Et Bockel est rentré sagement dans le rang, concédant au Figaro ce matin que « la Gauche moderne ne doit pas être sectaire ».Pour le savoir, il suffit de lire, deux pages plus loin dans le Point, l’article traitant de ce ralliement « à problème ». Et là, de références à Sarko l’homme de gauche, point…
De toute façon, on a compris l’astuce : la gauche dont parle l’article n’est pas celle de l’hémicycle ou des militants. C’est celle de New York, de Hadopi et du café de Flore. Cette gauche peut bien aller se ruiner dans le sixième, si ça lui fait plaisir. Mais elle ne peut toujours pas mettre les pieds à Argenteuil.