Le sujet est dans le titre. Mais on sait qu'un livre n'est pas seulement un sujet. C'est surtout une manière de le traiter. Celle-ci est intelligente et troublante.
J'ai posé quelques questions à l'auteur, qui y a aimablement répondu.
Avez-vous envisagé Beaujour, votre personnage, comme un autre Bartleby? Bien que celui-ci ne dise pas «non» à proprement parler…
Oh que je serai confus dans cette réponse, car j’ai pensé à Bartleby, sans y penser, c’est la force de certains personnage imaginaires, de continuer à exister en nous, comme s’ils faisaient véritablement partie de ces êtres que l’on a, que j’ai réellement rencontrés, comme si j’étais lié par une expérience personnelle avec Bartleby, ou pourquoi pas Grégor Samsa, ou la Zazie de Queneau, mais bon, la dimension allégorique de Bartleby me parle, comme lui mon personnage est pour ainsi dire résumé par une formule de mots, un élément de langage qui détermine tout de leur existence, de leur essence.
Vouliez-vous profiter de l’occasion pour railler les sondages, ou bien l’idée est-elle venue en cours de route?
Je trouve ça fascinant l’utilisation qui est faite des sondages, comme s’il y avait là bien plus qu’un concentré de l’opinion publique, mais à proprement parler une élucidation. Je voulais m’amuser à créer ces séquences de dialogues irréels, dans lesquelles mon personnage en tant que sondeur ne peut absolument prononcer le mot Non, alors que pourtant, le Oui et le Non, sont la base même de son activité, ses deux instruments de travail, avec l’échappatoire toujours possible du Ne sait pas. Mais ces derniers temps la réalité dans ce domaine fait bien mieux moi, avec ces référendums dont les autorités politiques attendent précisément une réponse, le Oui en général, quitte à reposer dix fois la même question, quitte à refaire le même référendum, jusqu’à temps d’atteindre le Oui. C’est magnifique d’obstination. Alors tant qu’à faire, autant dire oui dès le premier coup! Quant à dire non, ça ouvrirait en général, tellement d’autres questions, que c’en devient vertigineux, et assez peu rassurant.
Un seul mot vous manque, et tout est dépeuplé… L’exercice qui consiste à le retrouver devient, par le biais d’un atelier d’écriture très singulier, comique. Mais c’est aussi l’occasion d’intégrer au roman des textes qui forment une fiction dans la fiction. Et on pourrait poursuivre sur les perspectives que semblent ouvrir les mécanismes mis en œuvre ici. Jusqu’à envisager une pratique oulipienne du langage, à la manière de La disparition de Perec. Mais avez-vous pensé à tout cela dans le roman, ou bien est-ce moins concerté de votre part?
Oui, j’y ai pensé, à tout ça, oh que oui, seulement, ça m’est apparu, pour ainsi dire après, une fois que j’avais écrit!
Et Serge Joncour me réécrivait, un peu plus tard, pour préciser:
Ce petit mot, juste pour ajouter qu'au-delà de tout prétexte d'écriture, de désir d'inventer, il y aussi des êtres qui sont réellement dans cette difficulté-là, à ne pas savoir dire non, que d'une certaine façon, à des degrés divers, ça nous est tous arrivé, en tout cas, cela m'arrive, pour de vrai, de ne pas savoir dire non, et une de mes envies qui m'ont amené à écrire cette histoire, c'était bien de pousser l'exercice à l'extrême. Autrement dit, je n'ai pas le sentiment d'avoir fait là une pure fiction, loin de là, ce n'est pas réellement autobiographique, mais ça l'est un peu, une autobiographie collective.