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Pessimisme appliqué I : Espoirs déçus

Publié le 27 août 2008 par Agar

 

        Je crois bien avoir toujours aimé les étoiles. Bien avant de savoir écrire, je me tournais déjà vers elles, les suppliant d’étancher ma soif de réponses aux questions métaphysiques qui hantent les enfants de cet âge et auxquelles les parents, faute de patience et de connaissances, n’ont que rarement les moyens de répondre.

        J’avais dix ans quand je reçus mon premier télescope. Il n’était pas extrêmement puissant, mais me combla au delà de toute espérance (à tel point que mes veilles prolongées finirent pas nuire à mon assiduité scolaire, si bien que mon père restreint l’utilisation de la lunette au samedi soir). Et si les jours d’école s’écoulaient avec lenteur dans le petit village de campagne où j’habitais, la promesse d’un ciel vierge de toute pollution me semblait une compensation plus que suffisante.

        Ce sont les étoiles qui furent mes uniques compagnes dans la solitude de l’adolescence, la promesse d’autres mondes possibles m’aidant à oublier le peu d’estime que j’avais pour celui-ci. Et, allongé au milieu d’un champ, encore ému de la première mise en pratique de mes sentiments amoureux, je ne tournai pas mes yeux humides de bonheur vers la pâle et frêle silhouette blottie contre mon épaule, mais vers les astres, silencieux témoins de notre idylle, que je n’aurai pu imaginer satisfaisante sans eux.

        C’est donc sans hésitation que je choisis, sitôt mon baccalauréat obtenu, d’opter pour une carrière d’astronome. Ces études se déroulèrent à merveille, la plupart de mes professeurs étant prêt à tout pour aider l’élève le plus passionné qu’ils avaient eu depuis des années. Peu après avoir soutenu ma thèse, je m’en allais aux Etats-Unis rejoindre une équipe scientifique liée au projet SETI –Search for Extra-Terrestrial Intelligence-.

        Mon dévouement à notre travail, animé que j’étais par la flamme d’un rêve d’enfant, associé à l’incroyable somme de compétences réunie dans ce laboratoire, porta rapidement ses fruits : à peine plus de trois ans après mon arrivée dans l’équipe, nous parvînmes à capter des signaux radio provenant d’une petite planète extra-solaire baptisée LP-10976. Pour la première fois, l’humanité avait la certitude qu’une forme de vie intelligente existait ailleurs que sur Terre. Immédiatement mis au courant, le gouvernement américain décida de garder cette découverte sous silence jusqu’à ce que de plus amples informations soient recueillies. Nous acquiesçâmes, d’autant plus qu’en compensation notre budget fut décuplé du jour au lendemain.

        Nous passions des heures dans la salle radio à tenter de décrypter les étranges sons captés par nos paraboles. Leur volume était très faible et leur qualité exécrable, mais nous nous laissions aller à rêver en écoutant les grésillements sortant de nos hauts-parleurs. Nous finîmes même par leur trouver un caractère mélodieux et plusieurs membres de notre équipe, moi le premier, copièrent ces enregistrements sur leurs baladeurs. Comme la contingence des événements humains quotidiens, qui jusque-là m’avaient écrasés sous le poids de leur banalité, me paraissait plaisante quand cette musique céleste résonnait dans mes oreilles ! Nous n’étions plus seul, cela n’était plus tout. Jamais la vie ne me m’avait paru plus belle. De quel nouveau savoir, de quelles connaissances jusque-là inimaginables serions-nous bientôt les dépositaires ?

        Il va de soi que l’observatoire était dans un état d’effervescence jamais atteint le jour où nous fut livré le nouveau système informatique. Pour la première fois, par la grâce d’une technologie dernier cri reconstituant les images à partir d’infimes variations d’un spectre invisible émis par le rayonnement des étoiles, nous allions pouvoir voir cette planète.

        Il ne fallut que quelques jours avant que n’apparaissent sur les écrans de nos ordinateurs les premières photos de LP-10976. De petites constructions étaient visibles, d’où sortaient des créatures apparemment bipèdes, qui allaient et venaient de l’une à l’autre. Nous étions fous de joie, d’autant plus qu’il ne faudrait que quelques semaines à l’ordinateur pour finir de traiter les images et les sons et pour que nous puissions voir les moindres détails de cette vie indigène.

        J’étais seul dans l’observatoire cette nuit fatidique. Il était près de trois heures du matin et je vérifiais quelques paramètres d’enregistrement en finissant le contenu de la cafetière lorsqu’un haut-parleur émit un bip, m’indiquant que le traitement des données était terminé. Mes doigts tremblaient tellement qu’il me fallut plusieurs minutes à entrer les commandes système nécessaires à l’affichage sur la console principale. Dès que j’eus terminé, les lignes de code affichées sur l’écran laissèrent place à un lent balayage qui construisait peu à peu le rendu visuel des données analysées par l’ordinateur.

        Si mon rythme cardiaque accélérait à chaque amélioration de la netteté de l’image, la raison de mon trouble se mit rapidement à varier, l’impatience laissant peu à peu place à l’appréhension. Je décidai finalement de ne pas téléphoner au responsable du projet pour lui annoncer les résultats avant d’avoir sous les yeux le résultat final. Je fixais l’écran depuis plusieurs minutes quand un voyant s’alluma, indiquant la fin du traitement des données sonores. Je plaçai le casque sur mes oreilles mais n’étais plus excité à l’idée d’entendre avec netteté les émissions radios que nous n’avions fait que deviner durant des mois. Je pressai le bouton commandant la lecture et réalisai en une fraction de seconde ce que mon idéalisme m’avait caché si longtemps : ce fameux chant céleste, ces grésillements vaguement musicaux qui avaient bercé mon existence diurne et mes rêves, n’était que de la musique country. Plutôt médiocre au demeurant, le morceau semblait être joué par un guitariste incompétent sur un instrument désaccordé ; quant aux paroles, marmonnées et parsemées de fautes d’anglais, elles racontaient l’histoire d’un jeune homme amoureux d’une fille un peu enrobée qui est la risée de ses camarades. Presque paralysé d’effroi, je parvins à me retourner et vis sur l’écran géant de la console centrale l’enregistrement dont le décryptage avait été terminé : dans un quartier résidentiel semblable à ces banlieues monotones dont les Etats-Unis ont le secret, des centaines de petits personnages courtauds, semblables à des humains, aux visages couperosés et affublés de grosses moustaches, se déplaçaient en tout sens, enlevant leur chapeau pour saluer ceux qu’ils croisaient. Leurs femelles, d’une laideur incroyable, ployaient sous le poids d’énormes cabas remplis de primeurs et de viande sous cellophane.

        En nage, proche de la crise d’hystérie, je courus hors de l’observatoire où je devais ne jamais revenir.

        Je hais les étoiles.


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