Quand on crée un personnage on a souvent besoin de lui inventer une biographie. Ça permet d’éviter les incohérences temporelles, surtout quand on part sur plusieurs épisodes créés à plusieurs années d’écart, comme ce fut le cas pour les aventures de l’oncle Ernest. Quand il a fallu choisir une date de naissance pour le tonton aventurier, la date du 9 octobre 1907 s’est très vite imposée : il s’agit de la date de naissance de Jacques Tati. D’un oncle à l’autre, c’était un clin d’œil en guise d’hommage pour celui qui a inspiré certaines séquences du jeu.
9 octobre 2007 : l’oncle Ernest aurait donc 100 ans ! Cette date
anniversaire est une belle occasion de rendre hommage à l'autre tonton.
On évoque en général un père spirituel. A propos de Tati, j’inventerais
bien l’expression d’oncle spirituel. Spirituel dans tous les sens du
terme d'ailleurs. Le sens plastique avec lequel il réalisait chacun de ses plans
(notamment dans Playtime), l’importance donnée à la bande son disjointe
de l’image, le minimalisme avec lequel il parvenait à installer un
climat poétique, peuvent avoir encore valeur d’exemples pour nombre de
créateurs d’images.
C’est peut-être ce qui rend ses films intemporels
comme ceux de Chaplin, Lang, Dreyer, Ozu. Quand au peaufinage de
certains gags ils peuvent évoquer par leur conception certaines
mécaniques de jeu dignes de la grande époque des Monkey Island. Une
voiture dévale une route. Elle passe sur une bosse. La capote se
referme, empêchant le conducteur de suivre normalement la route. Sans pilote, la
voiture finit par stopper sa course folle dans un cimetière ombragé, un
pneu crevé. Hulot sort une chambre à air. Il la gonfle et la pose par
terre. Quand il la reprend, elle est garnie de feuilles ce qui lui
donne l'aspect d'une couronne mortuaire. L’employé des pompes funèbres
qui passait par là emporte la couronne. Plus tard, on la retrouve
suspendue pendant l’office, laissant échapper un bruit de pneu qui se
dégonfle, du plus bel effet au moment des condoléances ! (Désolé je
n’ai pas trouvé sur Internet cette fameuse séquence des Vacances de
Monsieur Hulot). Jacques Tati est mort le 5 novembre 1982. A son
enterrement, je ne sais pas si un plaisantin a réussi à glisser un
vieux pneu dégonflé en guise de couronne mortuaire, mais Tati
aurait sûrement apprécié.
S’il ne fallait se souvenir que d’une séquence, une seule de Jacques Tati, pour
moi, ce serait les premières et les dernières images de Mon Oncle
justement. Des chiens errant librement dans les rues. Rarement on a su
donner, d’une manière aussi simple et universelle, un tel sentiment de
liberté et de candeur. La liberté et la candeur qui caractérisent
justement son personnage fétiche, Monsieur Hulot. A propos de cette
séquence des chiens (tiens, en l’évoquant, je me demande si cette
séquence n’est pas à l’origine des Deschiens de Jérôme Deschamps et
Macha Makaieff, grands admirateurs de Tati), à propos de cette séquence
donc, en apparence anodine, Tati a eu cette phrase qui caractérise bien
son humour : « la présence d’une quarantaine de techniciens attendant
patiemment qu’un chien daigne se soulager le long d’un bec de gaz me
confère de grandes responsabilités financières ». Sa liberté de
créateur, Tati ne transigeait pas pour la conserver. Pour le coup, même
s’il en plaisantait, cela lui a coûté parfois très cher. Dimanche
soir, Arte diffusait un documentaire consacré à Playtime. On y aperçoit
furtivement Tati jeter son scénario sous les décors de son film en
cours de démolition. Un tonton comme ça, c’est sûr, on aurait bien aimé
en avoir un.
Illustration 1 : le vélo de Tati, photographie de Robert Doisneau.
Illustrations 2 et 3 : l'oncle Ernest, photos extraites du jeu.
Illustrations 4, 5 et 6 : Les Vacances de Monsieur Hulot, 1953.