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Pour cette ultime nuit, nous nous arrêtons à Sæberg.
Pourquoi Sæberg ? Parce qu'auberge de jeunesse à Sæberg.
L'attrait pour l'originalité de cette habitation inhabituelle s'est mue, au fil du mauvais temps, en aversion pure et simple. Louise surtout, s'est promis de ne fréquenter plus tard que les hôtels 10 étoiles. Si, si, 10 ! Deux fois cinq. Deux fois meilleur que le meilleur.
L'auberge est confortable. Comme les précédentes. Aucun français à l'horizon. Je ne pourrai pas me gausser. En revanche, un groupe d'une douzaine d'italiens a pris possession des lieux. Ils ont mon âge. Jeunes en effet. Ils préparent le dîner.
Les femmes s'activent devant les fourneaux, les hommes regardent et commentent. Une scène de grande normalité donc. Le tintement des casseroles qui s'entrechoquent se mêlent aux rires et aux éclats chantant. Les mains féminines s'affairent avec minutie, tandis que les quenottes masculines virevoltent inutilement dans toutes les directions, tels des tifosi exaltés encourageant leur équipe préférée. J'observe avec ravissement le sud sonore et chaleureux envahir le nord pluvieux. L'auberge Islandaise a des allures de trattoria.
Leurs préparatifs nous donnent faim.
Ce soir, je fais des pâtes. Oui, je sais : encore ! Avec du thon en boîte. Les filles ne s'étonnent même plus de mes curieux assemblages culinaires.
Voilà, c'est prêt.
Alors que nos amis romains cherchent encore à faire fonctionner le four, je remplis les assiettes en plastique. Les yeux de Garance se posent sur mes tristes raviolis jaunâtres, puis s'attardent sur le plat gigantesque des italiens, dans lequel reposent de vrais poissons, habillés d'ail, de tomates, de poivrons jaunes, rouges et verts, et entourés de grasses pommes de terre.
Je sens qu'il va être difficile de rivaliser. Même en rajoutant le thon.
"Mange, Garance !"Ma fille observe la pauvre bestiole émiettée, jette un ultime regard vers le festin coloré, puis lève la tête vers moi en souriant. Grâce au phénomène de la persistance rétinienne, je perçois encore les traces de l'objet désiré dans les pupilles de ma fille. Seul Peter Pan parviendrait à changer ma galimafrée en agapes. Mais je ne suis pas Peter Pan.
Alors j'insiste : "Mange ton thon !".Je viens de comprendre le gag.
"Mange qui ?" me demande-t-elle incrédule.
"Ton thon, mange-le !"
"Tu veux que je mange tonton ?"
Je saute sur l'occasion de retourner la situation à mon avantage. Quelques sourires pour chasser nos soupirs, voilà la solution.
"Pas le mien, le tien ! Enfin je veux dire : pas ton tonton, ton thon !"Génial. Le fou-rire est général. Même Louise s'y met, elle qui pourtant apprécie autant le poisson que celui-ci aime la pêche.
Exit Peter Pan. Me voilà devenu Bozo le clown.
Nous finissons par oublier les Italiens, qui eux aussi arborent une mine réjouie dans la petite cuisine.
Pas tant pour le plaisir d'observer des Français rigolards, que par l'odeur alléchée des 10 cadavres écaillés qui reposent maintenant par 180° Celsius.
L'aventure s'achève.
Reykjavik nous attend. Nous attendait en réalité.
J'ai raconté au présent de l'indicatif un passé composé de mille et une anecdotes que nous n'oublierons pas; un périple terminé depuis un mois. C'était pour mieux savourer le souvenir que j'en garde.
Un voyage que je recommande à ceux qui souhaitent...
- changer de décor comme on change de pays,
- observer leurs compatriotes,
- monter une tente « Two seconds »,
- déguster les pâtes au thon en rigolant,
- faire le tour d'une île comme on fait un tour du monde,
- ou tout simplement passer du (bon) temps avec ceux qu'ils aiment.