Une des caractéristiques des pays en développement (on ne fera pas ici la nuance peut-être pertinente entre ‘sous-développé’ versus ‘en développement’, plusieurs estimant qu’Ayiti n’est pas ‘en développement’), c’est le manque de structures réellement fonctionnelles qui régiraient la vie de tous les jours, surtout dans l’espace social. Ici par exemple, il est difficile de ne pas faire le lien entre la nouvelle de quelques lynchages publics (ça arrive à l’occasion) et l’absence d’un système judiciaire quelque peu fonctionnel. On se fait la justice que l’on peut. La folie des 90 élèves écrasés dans leur école à l’automne dernier relève pareillement
de cette absence de structure règlementaire quipourrait réguler l’installation et la construction des écoles. Il faudra revenir sur les écoles haïtiennes, peut-être est-ce pire que le problème écologique. Pour la circulation routière, le sujet du billet d’aujourd’hui, c’est à peu près la même logique : quasi-absence de règles formalisées. PAP, une ville de trois millions de moun (personnes) selon les estimations, n’a pas vraiment de règlements routiers. On compte probablement les pancartes (les arrêts, les sens-uniques, …) ou les feux de circulation sur le doigt d’une dizaine de mains. J’exagère juste un peu. Peut-être une centaine de mains. Par exemple, la route que j’emprunte pour entrer à la maison se transforme sans avertissement en un sens-unique. Rien ne l’indique, sauf … l’expérience de ma première entrée à contresens dans le sens-unique. De la même manière, je vais croiser une bonne dizaine d’intersections en entra
nt à la maison sans qu’il n’y ait aucun signe d’arrêt pour moi ou les autres automobilistes que je rencontrerai. Dans ce cas, c’est simple, les voitures qui vont dans le sens de la pente (donc qui la montent ou la descendent) ont priorité. Ici encore, c’est un apprentissage par l’expérience. Même genre de logique au Cap-Haïtien. Dans cette ville, la deuxième plus grande ville du pays, les rues parallèles à la mer sont identifiées par des lettres, les rues perpendiculaires par des chiffres. Rendez-vous au coin de L-12. Les lettres ont priorité sur les chiffres. Pas besoin de l’écrire, tout moun konsa (pronocner toute moun konsa, tout le monde le sait). Je disais au chauffeur l’autre jour que les règlements de circulation n’avaient pas besoin d’être formalisés, ils étaient inscrits dans les gênes des haïtiens !
Pour un blanc, ça devient de l’acquis. Donc une circulation sans trop de règlements où les motos-taxis s’en donnent à cœur joie. Comme les vélos à Mtl. Pour les motos ici en Ayiti, il n’y a pas de sens unique, pas de voies privilégiées pour circuler (on roule dans la voie de gauche ou celle de droite), le trottoir est une zone accessible et aucun feu de circulation ne peut les empêcher de se rendre à bon port. S’ajoutent à cette situation cacophonique les trous dans les rues et les machin (prononcer machine) que l’on répare partout sur la voie publique. Les trous forment ce que les haïtiens appellent la rout kraze (prononcer route craser, une route brisée), des cratères disent les blancs. L’état des routes est abominable dans bien des secteurs de PAP et ça s’explique en grande partie par le manque de moyen.Un peu spécial toutefois, le nombre de bouches d’égout sans couvercle. Si tu ne regardes pas bien au sol en conduisant, tu peux 'caler' une roue dans ce genre de trou sans fond. Je l’ai vécu, heureusement très lentement. Pas de dommage et quelques haïtiens pour pousser-soulever la Patrol et c’était ok. À grande vitesse, ça doit être un peu spécial comme événement. Dernier acteur de la vie de l’automobiliste, les voitures en pan kawoutchou (prononcer panne caoutchouc, une crevaison) ou pan motè (prononcer panne motè, un problème de moteur). Tout se répare directement sur la voie publique en haïti, presque pas de garages. PAP compte probablement le plus grand nombre de bos kawoutchou (bosse caoutchouc, réparateur de crevaison) ou kawoutchou man au km2 sur la planète. Ils sont installés sur le coin des rues et ont du travail à temps plein. Les cratères ont un impact terrible sur les pneus et la direction des machin. Mais la chose la plus hallucinante dans ce qui pourrait avoir l’air d’un foutoire, et peut-être la plus compréhensible en fait, c’est la sérénité de l’état d’esprit des conducteurs. Pas de rage au volant en Haïti. Tout le monde est calme : pa gen pwoblem. On observe un haut niveau de communication entre les chauffeurs (par les différentes façons de klaxonner en autres) et beaucoup de courtoisie. Comme si personne n’était stressé, pressé. ‘Être pressé’, je pense que ça va être le sujet de mon prochain billet.