Suite de la saga estivale: l'affaire des bonus bancaires. Partout, les gouvernements se trouvent coincés entre leurs belles déclarations moralisatrices et l’impérieuse nécessité avancée par les principales banques mondiales de poursuivre une politique de rémunération variable sans limite pour face à la concurrence qu’elles se livrent entre elles et motiver leurs traders.
A ce titre, Christine Lagarde semble au diapason de l’establishment financier qu’elle a longtemps fréquenté avant son entrée au gouvernement en mai 2007. A écouter ses récentes déclarations, le moment de vérité est arrivé.
Les retonmotades françaises
En novembre dernier, Nicolas Sarkozy expliquait que les prêts accordés par l'Etat aux 6 grandes banques françaises devaient être assortis de nouvelles pratiques en matière de politique de rémunération (patrons, bonus). Il demandait même la suspension des bonus pour 2008 et "de mettre un terme à des pratiques qui ont suscité à raison l'indignation des Français".
Sarkozy, les banques et les rémunérations (bis repetita...)
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Depuis, on sait ce qu'il est advenu. En juillet, BNP-Paribas a annoncé avoir provisionné un milliard d'euros de bonus pour cette année. Et la semaine dernière, le quotidien Le Monde révélait que 49 millions d'euros de bonus avait été versés à 10 cadres de la même banque au titre de l'année dernière. Les ministres Lagarde (Finances) et Woerth (Budget) ont dû monter au créneau pour dénoncer d'éventuels "excès", mais sans proposer de mesures concrètes.
L'impuissance française
Lundi 17 août, Christine Lagarde a une fois de plus joué l'autruche: à la proposition de taxer très fortement les bonus importants, afin de décourager ces pratiques de rémunérations variables, la ministre a répondu que c'était une mauvaise idée si les places financières étrangères telles Singapour, Londres ou Luxembourg ne suivaient pas l'exemple. Ses recommandations restent davantages incantatoires qu'autre chose: il faudrait que les banques françaises s'accordent entre elles pour appliquer de bonnes pratiques (les bonus étant une arme de recrutement pour "attirer les meilleurs talents" selon la ministre); que les bonus soient calculés sur les résultats de la banque, sur plusieurs années. A la question de savoir si une banque bénéficiant d'un prêt de l'Etat devrait le rembourser avant de verser d'éventuels bonus à ses traders, la ministre a cette réponse attendue : elle préfère que les banques ne procèdent à aucun remboursement anticipé à l'Etat afin qu'elles continuent à prêter aux entreprises... Bref, l'impasse gouvernementale est totale.
Christine Lagarde, lundi 17 août, reprenait en fait à son compte les recommandations jugées très permissives de la FSA britannique publiées la semaine dernière.
La City attentiste, Brown s'impatiente
A l'étranger, la crédibilité de la parole politique est également en jeu. A Londres, l'autorité de tutelle des banques, laFinancial Services Authority (FSA), vient de publier de nouvelles règles plutôt permissives en matière d'encadrement des rémunérations variables:
1. Le comité décidant de ces rémunérations doit être indépendant, juger de la santé passée et future de la banque; et évaluer le risque généré par le versement des bonus.
2. Les bonus devront calculés "en vertu de la performance à long terme des établissements, en tenant compte des risques encourus".
3. La plus grosse fraction du bonus devrait être versé sur 3 ans.
4. Le calcul du bonus devrait se faire aussi en fonction des profits de l'établissement, et non pas des simples performances des traders sur leurs propres opérations.
5. La FSA recommande enfin que la part variable des rémunérations soient plus faibles pour les gestionnaires de risque que pour la moyenne des autres catégories d'employés de banque.
Le ministre britannique des Finances, Alistair Darling, a mal réagi à ces propositions permissives. Dimanche 16 août, il a fait quelques rappels: "Il est clair que certains problèmes auxquels nous devons faire face aujourd'hui ont été provoqués par le fait que des traders ont été incités à prendre des risques que ni eux ni leurs patrons ne comprenaient entièrement", ajoutant : "s'il faut modifier la loi et resserrer les choses, nous pouvons le faire". Le même jour, le Sunday Telegraph révélait que Barclays, une des rares banques britannique n'ayant reçu aucune aide publique, a proposé jusqu'à 30 millions de livres (35 millions d'euros) de bonus à cinq traders pour les débaucher du concurrent JP Morgan.
Obama tenace
Le président américain lutte également contre les lobbies bancaires. Nonobstant leur résistance, il a nommé un contrôleur des rémunérations des dirigeants d'entreprise en la personne de Kenneth Feinberg. Ce dernier se chargera d'étudier les rapports des banques et entreprises partiellement ou totalement nationalisées, telles Citigroup et Bank of America, l'assureur AIG, General Motors et Chrysler. Serait-ce l’arbre qui cache la forêt ? En mars dernier déjà, l’assureur AIG avait choqué tout le monde en révélant le versement de 165 millions de primes alors qu’il avait frôlé la disparition en août 2007 et reçu 170 milliards d’aide publique. de son côté, la banque d'affaires Goldman Sachs, grande gagnante de la déconfiture de ses rivaux (dont Lehman Brothers) l'an dernier, a refusé de plafonner les rémunérations de ses traders, tout comme elle avait rejeté toute aide publique en 2008.
Plus récemment, un juge américain a bloqué un accord à l’amiable conclu entre la Securities & Exchange Commission et Bank of America (BoF) sur un cas exceptionnel : le versement de 3,6 milliards de dollars prévu par Merrill Lynch pour ses cadres dirigeants, une banque rachetée par BoF fin 2008 après des pertes abyssales de 28 milliards de dollars. La SEC s’y était opposée puis a transigé, moyennant le paiement d’une amende de 33 millions de dollars par BoF. Le juge n’a pas apprécié ce marché de dupes.
Revenons en France: fallait-il "hurler aux loups" à l'automne 2008 pour jouer l'autruche un semestre plus tard ?
Ami Sarkozyste, où es-tu ?