© Suntory Museum / Ed. Flammarion (scan réalisé à partir des épreuves de travail de Mille ans de manga)
"Le vice-gouverneur des souris partit demander à la kannon de Kiyomizu de lui trouver une femme afin d'avoir une descendance humaine. Il rencontra une belle princesse qu'il épousa. Le couple vivait heureux, jusqu'au jour où le mari découvrit que sa compagne n'était qu'une souris. La malheureuse se coupa les cheveux en signe de renoncement à la vie terrestre et s'en fut prier au mont Kôya où se trouve un ensemble de temples bouddhiques appartenant à la secte du Shingon-shû fondée en 816 par Kûkai. Cette triste histoire d'amour devint fort célèbre. Dans cette scène, les souris s'affairent pour le banquet du mariage et discutent de l'assaisonnement des mets."
Brigitte Koyama-Richard décrit ici (spéciale dédicace de topolivres à Joséphine, la cantatrice du Peuple des souris de Kafka) l'histoire du Nezumi-Soshi emaki, peinte au XVIème siècle sur cinq rouleaux de papier longs chacun d'environ cinq mètres. Parcourir Mille ans de manga en 250 pages et quelque 500 reproductions implique une cadence soutenue ; l'ouvrage qui paraît sous ce titre un rien aguicheur chez Flammarion se positionne cependant assez loin de la compile de circonstance que l'on pouvait redouter (dont l'objet premier eût été, mettons, de vendre du beau livre d'art en masse).
Après Isao Takahata, merveilleux réalisateur des studios Ghibli (Le Tombeau des lucioles, Mes voisins les Yamada, Goshu le violoncelliste, Pompoko...) qui a consacré aux Dessins animés du XIIème siècle un livre pour l'heure inédit en France, après la fête Au pays des manga donnée par le musée du quai Branly au printemps dernier, l'auteure s'attache à montrer comment la bande dessinée japonaise contemporaine s'enracine dans une histoire culturelle et artistique multiséculaire qu'elle assimile et perpétue dans ses développements propres.
© Katsushika Hokusai (La Manga, 1815, collection Leiji Matsumoto) / Ed. Flammarion
(scan réalisé à partir des épreuves de travail de Mille ans de manga)
Si vous l'ignoriez, vous profiterez du périple pour découvrir que le terme de manga dans son acception occidentale n'est guère employé ainsi que par chez nous. Au Japon, si les idéogrammes signifient juste dessin (ga) rapide (man), ils qualifièrent d'abord les manuels de dessin d'Hokusai - la célèbre collection Le dessin de manga ne constituerait donc pas un produit dérivé du manga, mais ses tout débuts habilement mis au goût du jour -, par la suite les caricatures et bandes dessinées satiriques publiées dans les gazettes et à présent surtout les estampes de la période d'Edo.
Il est intéressant de remarquer que ces deux formes, les estampes des XVII-XIXèmes siècles et les japanese comics du XXème, avant même de partager thèmes ou éléments graphiques, ont en commun de s'appuyer sur une valeur marchande faible. La classe moyenne de l'époque semblait désireuse d'art : pour diminuer les coûts et ainsi accroître la diffusion, on inventa sa reproductibilité (les estampes), et adieu bientôt rouleaux enluminés. Peut-être le manga aborde-t-il en ce moment au Japon un virage du même type, à la fois économique et artistique, avec la baisse des ventes des revues et des livres, le succès des manga-cafés, le lancement en janvier de l'hebdomadaire gratuit Gumbo et la forte progression du marché sur les téléphones portables.
Kitagawa Utamaro, Un enfant tourmenté par un cauchemar et sa mère (estampe nishiki-e, vers 1800) © Kumon Institute of Education / Ed. Flammarion
Brigitte Koyama-Richard enseigne la littérature comparée et l'histoire de l'art à l'Université Musashi de Tokyo. Elle a notamment publié Tolstoï et le Japon - La Découverte de Tolstoï à l'ère Meiji (P.O.F 1990) et, aux éditions Hermann, Japon rêvé - Edmond de Goncourt et Hayashi Tadamasa (2001), La Magie des estampes japonaises (2003) et Kodomo-e - L'Estampe japonaise et l'univers des enfants (2004). En 2005 a paru chez Phébus sa traduction du roman de Yasushi Inoué, Rêves de Russie.
Alice Guzzini
Brigitte Koyama-Richard
Mille ans de manga
Flammarion 2007
39,90 euros
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