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Le film de la plage croate de Luka

Publié le 19 août 2009 par Argoul

Au soleil levant, sous un ciel encore nacré d’aurore, je me réveille le long du mur d’église, sous les pins dont les branches se découpent, aérées, sur l’azur. Le petit-déjeuner est pris sur la table en ciment, devant les yeux déjà éveillés des petits gars en débardeurs et des mammas aux cabas, venues attendre une barcasse de fruits et légumes. Elles feront leur marché du jour depuis le haut du quai, le commerçant pesant et livrant la marchandise depuis son bateau.

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Nous embarquons pour traverser le bras de mer vers le village d’en face, sur l’île de Korcula. Eff va faire les courses des deux prochains jours tandis que nous nous installons à la terrasse d’un bistro pour boire un vrai café. Meilleur que du côté turc, le café est fait ici à l’italienne. Nous quittons l’île pour 2h45 de kayak sans pause. Nous devons atteindre la crique prévue pour le pique-nique car elle sera aussi celle du soir. Nous doublons la pointe est de l’île de Korcula pour passer côté sud. A cet endroit, une barcasse à tau récupère un plongeur. Il y a là deux femmes, deux hommes et deux garçons de 14 ans et 9 ans. Les femmes sont entièrement nues ; tous les hommes portent des slips. Je ne sais pourquoi ce contraste me choque. Est-ce ce déballage de féminisme affirmé ? Pour moi, tout le monde peut être à poil, ou personne. Cette hypocrisie revendicatrice des bonnes femmes en forme de provocation a le don d’exciter mon ire. Je suis loin de souscrire à la pudeur effarouchée victorienne, mais je considère qu’il faut des limites en société. La grossièreté vulgaire est une agression au même titre que le viol. On peut très bien, à mon sens, se mettre tout nu en famille, si cette attitude est une hygiène ou un confort appliqué à tous. Mais alors, tout le monde quitte ses vêtements et met sa curiosité rassasiée au rancart. La pudeur, si elle recule alors, ne disparaît pas mais subsiste dans les attitudes.

Nous longeons une côte moins habitée. Est-ce à cause du vent dominant ? Du soleil de l’après-midi ? Des pirates venus du sud aux temps barbaresques ? Nous passons crique après crique où seuls des mouillages ou de minuscules quais de béton privés sont aménagés pour les bateaux des propriétaires de cabanes au-dessus. Un vol d’aiguillettes s’élance hors de l’eau et file devant nous, suite de traits rapide au-dessus de la surface comme des étoiles filantes. Une suite de terrasses, aménagées de pierres sèches, meuble le demi-cercle d’une vaste crique. On dirait, vu de la mer, quelque cirque antique taillé à même la colline et recouvert de broussailles. Ce sont des champs plantés de vignes, exposés plein sud, au soleil de l’après-midi. La crique de Luka est celle que nous visions. Il n’est pas 14h et le soleil darde ses rayons torrides.

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Un bain dans l’eau transparente nous rafraîchit aussitôt. C’est à l’ombre d’une cabane d’été inoccupée que nous prenons notre pique-nique de pastèque, tomates, fromage, pain et pâté. Chacun s’égaie ensuite en étoile autour des bateaux, à la recherche d’ombre pour lire ou somnoler. La famille refusionne en se réfugiant, à quatre, dans une crique de la crique. Eff s’endort solitaire. Je m’installe ailleurs, sur la falaise qui domine l’anse aux bateaux. Je peux observer les alentours puis, n’ayant rien d’autre à faire, écrire, décrire, réfléchir. Un petit de quatre ans chante, tout nu sur les galets brûlants. Encore un Marino, prénom fort porté ici, dirait-on. Il ne veut pas se faire mouiller par sa mère, qui lui désigne pourtant le soleil trop chaud. Il ne nage pas mais joue avec les galets en babillant ou chantant. Le rocher en surplomb lui offre heureusement une ombre possible dont il ne tarde pas à user. Une belle blonde ondulée, portant un paréo bleu nuit, aide son compagnon un peu lourd à mettre à l’eau leur canot blanc à moteur.

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Un papa au crâne rasé de punk allemand nage avec son petit blond à peau pâle, portant un slip vert pomme. Aide et jeu, protection et enseignement, ces deux-là se complètent manifestement et s’affectionnent. Nous aimons à observer les autres, songeant aux petits qui nous sont chers ou à ceux que l’on voudrait avoir. Une pause : je me remouille en allant remplir ma gourde aux bidons d’eau douce restés dans les kayaks sur la plage. Une grande sœur, aussi blonde et aussi pâle, vient apporter une casquette au slip vert pomme et prendre sa part de papa. Elle a le haut de même couleur que la culotte de son frère. Ce dernier semble se prénommer Mateo (écrit Matej ici) ; il ne serait pas Allemand, mais Croate, ou Croate en vacances, vivant en Allemagne. Il ne nage pas vraiment pour ses six ou sept ans mais barbote des quatre pattes comme un petit chien. Il n’a pas peur de l’eau, ni de couler, ni de mettre la tête dedans. Mateo part en barque avec son père et sa sœur, toujours en slip et casquette.

 

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Un peu plus tard, Mateo revient. Sa mère et sa grand-mère – ou sa vieille tante – accueillent la barque, qui repart, laissant le petit Mateo sur la grève. Il ne sais pas nager et la barque va au large, c’est du moins ce que j’interprète. Les femmes enlèvent leur maillot pour aller nager ; elles se sèchent à poil sur les galets chauds. Sa mère permet à Mateo d’ôter son slip. Il doit avoir l’âge de la pudeur, bien six ans, et il fait des manières mais il finit par l’ôter car les adultes le font et personne d’autre n’est là pour le regarder. Cette fois, rien de vulgaire ni de choquant dans cette attitude. Mateo remet son slip devant son sexe lorsqu’il aperçoit un homme inconnu, un vieux pêcheur qui prépare sa barque. Puis il le réenfile carrément devant son père qui vient le chercher sur la plage en canot gonflable. Un gros crocodile vert rempli d’air, flottant derrière le canot en souriant de tous ses crocs, doit être destiné à l’enfant. Les deux femmes sont toujours nues et la mère parle d’une voix chantante qui roule les « r ». Voici une demi-heure de la vie de Mateo, enfant blond croate.

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Après ce film vivant, je me plonge dans la lecture, je reprends un bain. Le spectacle se renouvelle et je laisse mon livre. Ce sont cette fois un couple accompagné d’une petite fille et de deux adolescents de 17 et 15 ans qui viennent depuis l’intérieur des terres s’installer pour nager au bout de la crique. Les garçons se préparent pour plonger en masque et tuba. Ils ont le corps brun d’avoir fait la même chose tous les jours depuis le début de l’été. Le grand est costaud mais déjà un tantinet enveloppé. Il sera probablement comme son père avec un ventre à bière. Le cadet, peut-être un cousin, est en revanche mince et sec. Il a de la prestance, les muscles plats et le ventre qui se plisse lorsqu’il s’assied. Les voir batifoler et palmer dans l’eau claire me donne envie de les imiter pour un énième bain du jour. L’ardeur du soleil le permet. L’eau transparente laisse voir les fonds marins jusqu’à six ou sept mètres de profondeur. J’enfile moi aussi palmes, masque et tuba, pour me couler dans l’onde cristalline. J’aperçois un gros bivalve tout concrétionné entre les algues qui tapissent le fond. Plusieurs sortes de poissons nagent entre deux eaux, dont une variété rouge, échappée du bocal. Je crois même apercevoir un poisson Picasso, vu aux Maldives, avec sa forme en trapèze caractéristique mais des bandes de couleurs plus pâles que dans les mers du sud, en gris ocre et brun. Après la plongée, les deux grands se sèchent, la peau à l’air, puis jouent avec la petite fille entre les cailloux. Ils entreprennent de grands travaux de terrassement, bousculant les rochers, creusant un canal, pour créer un bassin boueux où ils se maculent les bras et le torse. Leur mère finit par les engueuler et leur enjoint de niveler leur chantier qui devient aussi tourmenté que la surface de la lune. Les muscles raidis se remettent alors en action pour repousser les rochers dans les trous et recouvrir la boue par les galets. Les deux faunes, tachetés de rebuts de marécage, vont alors se rouler dans les vagues en riant et s’empoignent pour se frotter l’un l’autre et se débarrasser de la terre qui les colle des orteils aux cheveux.

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Nous tentons un feu, soigneusement sur la plage loin des broussailles, mais un vieux pêcheur, noiraud d’être exposé au soleil depuis des décennies, arrive en hurlant « dourak ! tsiganes ! » - dourak, en russe, veut dire « fou » ; en croate aussi, probablement. La mère des garçons et de la petite s’interpose et traduit en français, qu’elle parle avec accent. Il est « interdit » de faire du feu sur les plages, les rondins sont le bois qui sert au pêcheur à remonter ses bateaux. Nous éteignons alors le feu et allumons ce réchaud à gaz récalcitrant, en dotation dans le matériel de popote GNGL. Le riz en sachet de marque Leader Price se réhydrate quand même, mais il y met le temps, trois-quarts d’heure bien tassés au lieu des « 8 mn » indiquées sur le paquet. Avec des saucisses cocktails, du fromage et des fruits au sirop en dessert, voilà le dîner expédié. Au crépuscule, les moustiques attaquent particulièrement ici. Tous vont dormir sous les tentes pour leur échapper, sauf moi, mieux installé sous la coupole du ciel. Sous la toile à côté, Braque et sa sœur chahutent. Braque est tout excité à l’idée d’avoir enfin 16 ans demain.

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