Les Incohérences et contradictions de M. Paul ADAM, "Anarchiste"

Par Bruno Leclercq



Paul Adam se voulait anarchiste, encore faut-il s'entendre sur les termes. Bien sur il est l'auteur de Excitation à la Révolte ou Éloge de Ravachol, il fonde même en 1885 un brûlot anarchisant, Le Carcan, avec Jean Ajalbert. Ce qui ne l'empêche pas d'être de la campagne boulangiste de Maurice Barrès en 1889 à Nancy, campagne où se mélange l'« antisémitisme social », l'antiparlementarisme, et le socialisme. On retrouve cet antisémitisme dans L'Essence du soleil ou Le Mystère des Foules. Adam est l'auteur d'une série de romans sur l'épopée napoléonienne, où se trouve glorifié l'empereur, des romans sur les expédition coloniales où « l'action civilisatrice » de la France, et ses hauts faits militaires sont exaltés. Goût pour la force, fascination pour la foule, rêve d'une phalange intellectuelle et d'une phalange militaire, l'oeuvre de Paul Adam abonde en théories pré-fascistes. Mais Paul Adam persiste et signe, il est « anarchiste », il l'est encore en 1905, lorsque Paul Acker vient le visiter et l'interviewer. La lecture de l'entretient nous apprend quel genre d'« anarchisme » le requiert, un anarchisme militarisé, une société où tout « les socialistes seraient armés», où le militaire serait aussi ouvrier et paysans... En 1911 il donne dans La Ville inconnue le portrait d'un « anarchiste », soldat d'une expédition coloniale, militariste et adhérent à la C.G.T... C'est l'occasion pour le rédacteur des Hommes du Jour chargé de la rubrique de Tout un Peu, de souligner l'incohérence de ce personnage et de moquer la ridicule vision de l'anarchisme par Paul Adam.

Paul ADAM

- Enfin, je voulus être explorateur à la fois et fermier, cela était très sérieux, c'était ma vraie vocation, et je fus même sur le point de partir en Australie pour y élever des moutons. Mais je ne suis parti qu'en Italie, et au lieu de prairies sans autre horizon que le ciel, je n'ai vu que des musées...
[...]
- Vos regrets, lui dis-je, m'expliquent mieux ce que je sais de vous. On m'a conté que vous aviez été anarchiste, et, certes, en Australie, vous auriez pu mener l'existence absolument libre d'un compagnon, tandis qu'en France, à Paris...
- J'ai été anarchiste, c'est vrai, et je le suis encore, fit M. Paul Adam en s'asseyant à son bureau, et je crois que c'est la seule théorie politique intelligente. Je souhaite l'entier développement de chaque parti, jusqu'au point exclusivement où il peut nuire à celui du voisin, et les lois contre les congrégations me paraissent aussi infâmes que les lois dîtes scélérates. Seulement, si la France devenait un pays révolutionnaire, toutes les puissances capitalistes se précipiteraient sur elle, et, si elle n'avait plus d'armée, elle serait perdue. C'est en ce sens que je suis militariste. La suppression de l'armée aurait pour conséquence immédiate la suppression de la France. Et, d'ailleurs, l'armée, telle qu'elle évolue, n'offre-t-elle pas la forme la meilleure du socialisme ? Dans bien des garnisons, on enseigne maintenant aux soldats l'agronomie, l'arboriculture... ce sont des expériences qui se continueront. Imaginez qu'on apprenne aux artilleurs non plus seulement à tirer le canon, mais à construire leurs pièces ; aux cavaliers, non plus seulement le maniement du sabre et l'équitation, mais l'élevage des chevaux qu'ils montent ; aux fantassin l'agriculture : n'aurez-vous pas établi ainsi un véritable régime socialiste ? L'armée, je vous assure, est l'embryon du système que rêvent ceux dont je n'ai pas besoin de vous dire les noms et qui veulent justement la détruire. Étrange contradiction et étrange aveuglement ! Une révolution ne pourra se produire qu'au lendemain d'une guerre quand tous les socialistes seront armés, et comment seront-ils armés, s'il n'y a plus de troupes ?
- Pourtant, objectai-je, vous n'êtes pas uniquement militariste, parce que vous êtes révolutionnaire. J'aperçois, là, au-dessus de cette petite bibliothèque, le portrait de votre grand-père, qui fit toutes les campagnes de l'Empire, et voici, sur votre table devant vous, le médaillons de votre bisaïeul, qui mourut à Wagram [...] Vos derniers livres glorifient, il me semble, Napoléon. Vous auriez été un de ses plus fervents officiers. [...]
[...] - l'empereur a toujours été un Robespierre à cheval, et ses soldats se considéraient toujours comme des républicains qui apportaient la liberté au monde [...] On peut être impérialiste et révolutionnaire.


Paul Acker Petites Confessions (visites et portraits). Première série. Albert Fontemoing, éditeur, Collection Minerva. 1905.

Un Anarchiste !

Vous ne lisez pas le nouveau roman de Paul Adam : La Ville inconnue que publie le Matin ! Vous avez tort, il y a de quoi rire et s'amuser.
Il s'agit là-dedans d'une expédition française en Afrique. Nos valeureux soldats accomplissent leurs prouesses ordinaires et mitraillent avec entrain les nègres récalcitrants. Parmi eux se trouve un anarchiste vraiment extraordinaire. Figurez-vous que cet anarcho, natif de Lyon, est un militariste convaincu ; il prend un plaisir extrême à zigouiller les négrillons. Ça ne l'empêche pas d'être anarchiste. C'est M. Paul Adam qui nous l'affirme.
Dégustez, d'ailleurs, les boniments de l'anarcho :
« Voici le village, surplombé par la citadelle, arrondi autour de la mosquée, chaux, glaise et cailloux.
« Au « Marchef », Mérut demande :
« - On va fiche par terre cette boîte à curée ? A bas la calotte !
« Et l'anarchiste lyonnais de rire à grand bruit. »
C'est ainsi que le romancier Paul Adam voit et dépeint les anarchistes.
Idiot, va !
Plus loin, un des personnages du roman s'adresse à l'anarcho :
« - Regarde ça... Mérut... Regarde ça !... Tu iras le dire à la C. G. T. de Lyon. »
La C. G. T. de Lyon !
Paul Adam ferait beaucoup mieux de se taire et de ne point s'occuper de choses dont il ne connaît pas le premier mot.
Mais voici encore :
« ... Mérut voudrait montrer ça au « camarade Jaurès » et lui demander ensuite s'il blâme toujours les expéditions coloniales. »
Dire qu'il se trouve un imbécile pour oser écrire de pareilles âneries et un journal pour recueillir la prose du dit imbécile.
C'est égal, il fera bon suivre l'anarchiste. Le roman ne fait que commencer. Ça promet.


Les Hommes du Jour, N° 161, 15 février 1911