Avec le temps, l'internet découvre le temps. L'innovation apportée par le microblogging, et plus généralement par les techniques de fil d'information, que ce soit le RSS ou les feeds de facebook, est de ralentir le flux des messages instantanés pour donner le sentiment d'une information en temps réel. C'est d'ailleurs l'expression désormais consacrée : celle du real time search. On peut d'ailleurs se poser la question de ce qu'il a de réel. Il serait plus correct de parler d'un temps actuel, à moins de considérer que les seules choses réelles sont celles du présent.
C'est un temps qui est analogue à celui des dépêches d'agence de presse, et si la technique change, c'est ce même esprit qui anime les nouveaux téléscripteurs. L'espace de cette information est celui d'un relatif immédiat, une couche de quelques heures de messages émis, répercutés, retransmis, redondants, dont l'épaisseur reflète en partie l'intérêt.
Immédiateté mais non instantanéité. L'instant appartient à ce qui, aussitôt émis, se dissout dans l'oubli. C'est la vertu des messageries, dont on ne conserve rarement les archives. Le temps des fils d'information est aussi celui d'un archivage dont la période est courte mais significative.
Ce temps est bien différent de cette permanence des premiers sites web, dont la conception se tenait dans l'idée d'une intemporalité. Même si, à mesure du temps qui passe, ils se sont améliorés, ces améliorations le sont pour un toujours, et tiennent le passé pour une sorte d'imperfection qu'il faut gommer. L'intemporel est ce qui échappe au temps.
Les blogs ont introduit cette idée de durée, à un rythme assez lent, celui des jours, des semaines et des mois. Ils sont au fil d'information ce que la presse est à la dépêche, avec cette avantage cumulatif dont la presse internet n'a pas pris l'avantage. La véritable valeur ajoutée de la presse réside dans ses archives, et dans le potentiel qu'elle a d'introduire dans l'espace du net les premiers éléments d'une histoire véritable.
Voilà qui laisserait à penser que l'internet n'innove pas tant que cela, au moins dans le rapport au temps que nous pouvons concevoir. Le flux des innovations semble juste rattraper l'état des institutions traditionnelles de la connaissance. Ce qui laisse d'ailleurs entrevoir des perspectives pour de nouveaux modèles de médias, et l'idée de quelques lieux de mémoire.
Le passé est sans doute la zone occultée. L'admiration qu'on porte à Google et à son indexation s'atténue quand on réalise que la recherche laisse peu d'importance à la datation. Si l'indexation est puissante, l'archivage est mauvais. Même dans les fonctions avancées de recherche, la gestion du temps est limitée. Notons, au passage, que cette propension à l'atemporalité, à ce mépris du temps, se retrouve aussi chez Amazon, qui contre toute les habitudes bibliographiques, confine les dates d'édition des ouvrages dans des coins d'ombre.
Cette propension à l'atemporalité est un fait d'autant plus curieux qu'il n'y a pas de monde aussi pénétré par la mesure du temps. L'informatique date et horodate avec une précision inouïe le moindre de ses documents. Les bons outils sont d'ailleurs ceux qui gèrent la génèse de la production. C'est ce qui est au cœur du processus d'édition des pages de wikipédia, qui permet de repérer chaque version. Mais cette précision géométrique a peu à faire avec l'histoire, mais beaucoup plus avec l'organisation et la séquentialité des décisions. Si, pour chaque page, un onglet historique est disponible, la date d'édition n'est pas fournie sur la page consultée. Et cela reste un des cas uniques qui permet au lecteur d'apprécier les conditions de genèse d'un document.
Si aujourd'hui toute l'attention est portée vers ce prolongement extraordinaire du modèle initial de l'internet (une extension de l'intertextualité à la socialité, autrement dit cette extension du principe de lier les textes les uns aux autres et de tisser entre eux un réseau de signification, à celui de lier leurs auteurs, leurs agents), il reste encore à introduire un ordre particulier, celui du temps, celui d'une histoire. Il s'agit moins de chronologie, même si elle est nécessaire, que d'archivage. Il s'agit moins d'observer des tendances que de marquer des évolutions. Il s'agit moins de calendrier que de mémoire.
Et pour qui douterait de cette observation, proposons un exercice simple : comment, avec les outils de recherche et d'agrégation dont nous disposons, faire état de l'évolution d'un événement aussi facilement qu'on rassemble de l'information sur l'état actuel de cette information ? Cette fonction existe depuis peu dans google actualités, mais il faut la chercher dans la recherche avancée. En voici un exemple pour le cas de la grippe A sur le mot clé H1N1.