Ce grand philosophe qu'est Gustave Parking l'a bien dit, "il est important de rire avec la victime contre le bourreau", avec le faible contre le fort. J'adore par exemple écouter France Inter car je suis sûr que l'on me parlera d'une voix rassurante des problèmes des pays en voie de développement. C'est la même chose pour mes emplettes: pas un voyage le vendredi au marché bio sans oublier de choisir des produits équitables. Je n'hésite pas à montrer mon empathie vis-à-vis des victimes du « système ».
Mais que l'on ne se méprenne pas: je sais aussi tirer la langue et me montrer transgressif dans mes goûts. Je compte par exemple la compagnie Montalvo Hervieu parmi mes rebelles préférés, ils ont su amener le hip hop à l'opéra. En matière de rock, je kiffe The Gossip, lesbienne et antithèse d'un mannequin anorexique, j'adore. Mais je ne crache pas sur un bon groupe pop comme Diving with Andy ou Sliimy par exemple dont un journaliste des inrocks disait si bien « Jeune Français échappé de Saint-Etienne, Sliimy peint de rose et de jaune la bande-son de l'été ». En matière de classiques, je ne crache pas sur un bon Noir Désir (Bertrand Cantat à quand même des circonstances atténuantes vu qu'il est alter-mondialiste) ou un petit Manu Chao de derrière les fagots.
En matière d'art plastique, il faut que l'on me bouscule: c'est pourquoi j'adore Momus, qui n'a pas hésité à passer une journée à la Tate gallery à lire des formules chimiques pendant qu'une musicienne japonaise expérimentale passait son temps à passer son doigt autour d'un bol rempli d'eau afin d'obtenir des sons zens. À mon panthéon de l'art qui dérange, il y'a Steven Cohen Africain: blanc, juif, homosexuel antisioniste qui n'hésite pas à se goder devant des images de nazis. Il ne faut pas oublier que la bête immonde n'a de cesse que de revenir.
Je ne suis pourtant pas un doux rêveur et je sais qu'une vie citoyenne commence par des petits gestes au quotidien, par exemple trier ses déchets, savoir féminiser son vocabulaire, dire « auteure », donner de son temps à des organisations caritatives, lutter au quotidien en sachant qu'il n'y a pas de petites initiatives. La croissance négative, l'anti-consumérisme et les toilettes sèches sont à mon programme.
Je suis pour la légalisation de toutes les drogues et pour le port du Burkini car on n'a pas le droit en tant qu'occidentaux arrogants d'imposer nos coutumes (on a quand même beaucoup à se faire pardonner). Je suis un habitué de la techno parade car c'est un bon symbole du vivre ensemble métissé dans la même énergie festive, la mixité culturelle, sexuelle et sociale. Comme le dit si bien Moby: "j'espère que mes enfants seront gay, car ils seront ainsi plus intelligents".
Vous l'avez compris, je suis accro à l'utopie mais je sais que l'économie de marché peut être une bonne alliée pour peu qu'il y ait des patrons responsables, avec du goût pour la transgression et solidarité. Jacques Berger (que l'on ne présente plus) et Matthieu Pigasse (le nouveau patron des Inrockuptibles) en sont de bons exemples. L'un et l'autre ont toujours été des patrons responsables.
Je suis aussi un type très con, je ne pense jamais par moi même, je calque ma pensée sur ce qui semble être le moyen le plus sur d'obtenir une supériorité morale. On dirait que cette phrase de Baudrillard a été faite pour moi :
« Dépouillée de toute énergie politique, la gauche est devenue une pure juridiction morale, incarnation des valeurs universelles, championne du règne de la Vertu et tenancière des valeurs muséales du Bien et du Vrai, juridiction qui peut demander des comptes à tout le monde sans avoir à en rendre à personne ».
Qu'importe si je suis un clone parmi les clones, un être zombifié puisque je porte la tolérance en étendard. Je ne vois des nazis partout, alors que le national socialisme n'a existé que jusqu'en 1945. Depuis les néo-nazis et les anti-nazis vivent dans l'illusion. Ce que je suis par contre, ce n'est pas un individu mais juste la cellule d'un organisme cancéreux en pleine métastase. Que ce soit sous Genghis Khan, Golda Meir, Louis II de Bavière, le général Salazar, Kennedy ou Alexandre le grand, je suis un modèle caméléon qui à fait ses preuves. FFI le jour de la libération, je suis capable d'écrire pour « Je suis partout » en 41 et « Combat » en 57.
Je n'aime rien puisque j'aime tout le monde, sauf les non-tolérants, c'est à dire ceux « pas cool » qui ne pensent pas comme moi.
Je suis celui qui participe au mythe de la démocratie en m'imposant comme un des nombreux rouages du totalitarisme. J'utilise la pitié et le sentimentalisme plutôt que la logique. Pourtant je suis on ne peut plus pragmatique puisque je parviens toujours à me faufiler et arriver à mes fins.
Je suis une grosse merde d'arriviste.
On me retrouve directeur de la programmation d'un festival rock, ou d'une structure culturelle officielle, rédacteur en chef d'un journal, prof d'histoire dans un lycée, ex-punk reconverti dans la techno, vidéaste subventionné, réalisateur de porno social, animateur de télé DJ, cocaïnomane le jour et grand mystique (Coran, nouveau testament ou Torah) la nuit.
En 2009 je suis donc cool mais pendant l'inquisition je n'aurai eu aucun problème pour torturer en bon aide de camp zélé de Torquemada.
Je n'ai pas d'amis, puisque mes semblables sont ensemble par intérêt à la suite à tout un processus de développement intellectuel. Je ne sais pas aimer ou détester un être humain pour sa nature profonde mais pour ce qu'il représente dans mon plan de carrière.
C'est idiot, le pragmatisme et la stratégie sont nécessaires pour survivre, voire régner, dans ce bas monde. Loin de moi l'idée de jeter l'opprobre aux ambitieux. Bien au contraire. Le talent, la culture et un visage accorte ne suffisent pas pour transformer ses rêves en réalité. Il convient d'avoir un minimum de stratégie, donc d'hypocrisie. Sauf pour ceux qui auraient décidé de suivre la voie de l'anachorète, de l'human bomber ou du martyr du Hezbollah. Mais mon postulat de base, mon but, a toujours été d'être un Kapo au service des illusions collectives du jour. Je suis toute la différence entre Ravachol et José Bové, Jules César et Berlusconi, Orson Welles et Cédric Klapish. Je ne suis donc pas pragmatique, mais je suit plutôt la politique du chien crevé en train de suivre le courant. Que je sois FN, UMP, PS, NPA ou tout autres groupuscules n'a que peu d'importance. Je suis dans l'illusion, le mensonge le plus gros étant celui fait à moi-même. Je ne suis qu'une fourmi.