Une scène célèbre, revisitée pour les besoins de la cause vinique. Ça ne se passe pas à Bergerac, comme dans l'original, mais à Marmande. L'action se situe dans un bar de la ville, où le dénommé Cyrano a maille à partir avec un Vicomte qui n'y connait pas grand chose en vin. Un duel au son du canon, celui qui fait bloub bloub dans les verres. L'accent du Sud-Ouest est toujours de rigueur.
...
Cyrano, poussant un cri comme lorsqu'on est
saisi d'une crampe.
Ay!...
Le vicomte, qui remontait, se retournant.
Qu'est-ce encore qu'il dit?
Cyrano, avec des grimaces de douleur.
Il faut le remuer car il s'engourdit...
- Ce que c'est que de le laisser inoccupé!-
Ay!...
Le vicomte
Qu'avez-vous?
Cyrano
J'ai des fourmis dans mon verre!
Le vicomte, tirant le sien.
Soit!
Cyrano
Je vais vous donner un petit coup charmant.
Le vicomte, méprisant.
Poète!...
Cyrano
Oui, monsieur, poète! et tellement,
Qu'en trinquant je vais - hop! - à l'improvisade,
Vous composer une ballade.
Le vicomte
Une ballade?
Cyrano
Vous ne vous doutez pas de ce que c'est, je crois?
Le vicomte
Mais...
Cyrano, récitant comme une leçon.
La ballade, donc, se compose de trois
Couplets de huit verres...
Le vicomte, piétinant.
Oh!
Cyrano, continuant.
Et d'un envoi de quatre.
Le vicomte
Vous...
Cyrano
Je vais tout ensemble en faire une et trinquer,
Et vous toucher, monsieur, au dernier verre.
La salle, surexcitée au plus haut point.
Place! - Très amusant! - Rangez-vous! - Pas de bruits!
Cyrano, fermant une seconde les yeux.
Attendez!... Je choisis mes rimes... Là, j'y suis.
Il fait ce qu'il dit, à mesure.
Je coupe avec grâce son feutre,
Je fais lentement l'abandon
De la capsule qui le calfeutre,
Et je tire son bouchon;
Élégant comme Céladon,
Frais et croquant en bouche,
Je vous préviens, cher Mirmidon,
Qu'à la fin de l'envoi, je touche!
Premier engagement de verre.
Vous auriez bien dû rester neutre;
Que vais-je vous servir, dindon?...
Du blanc, sous votre maheutre?...
Du rouge, sous votre bleu cordon?...
- Les verres tintent, ding-don!
Les crus voltigent: une douche!
Décidément... c'est au rosé,
Qu'à la fin de l'envoi, je touche.
Il me manque une rime en eutre...
Vous rompez, plus rougeaud que cochon?
C'est pour me fournir le mot pleutre!
- Tac! je pare la bulle dont
Vous espériez me faire don: -
J'ai la ligne, - j'ouvre la bouche...
Tiens bien ton godet, Laridon!
A la fin de l'envoi, je touche.
Il annonce solennellement:
Envoi
Prince, demande à Dieu pardon!
Je clape du palais, j'ouvre la bouche,
Je hume, je trinque...
Servant.
Hé! Là donc!
Le vicomte chancelle, Cyrano salue.
A la fin de l'envoi, je touche.
Acclamations. Applaudissements dans les loges. Des fleurs et des mouchoirs tombent.
Le Rosé qui touche, par Stéphanie Lassole, la Roxane du Marmandais, avec la complicité involontaire d'Edmond Rostand et de son Cyrano, ainsi que de Lolo Baraou, le d'Artagnan des cavistes-artisans. Croquant, fruité, accrocheur, gouleyant, à la superbe robe groseille troublée (troublante?), d'un rose du genre de celui qui monte aux joues des jeunes filles pudiques et timides, ce cabernet franc nature, franc et nature forcément, est décidément un vrai vin qui touche. Le Vicomte ne s'en remet toujours pas!
Olif
P.S.: Moi aussi, je pense avoir été touché à mort. Lolo, il en reste?