Quand le casino l’emporte sur l’atelier

Publié le 18 août 2009 par Jlhuss

Après une phase psychodramatique, les évocations de la crise mondiale, financière, économique et … sociale semblent connaître un certain répit. A l’écoute de la grande presse et des discours rassurants des uns et des autres, on pourrait croire que la page est en train de se tourner et que nous allons vers une reprise, certes lente mais bien là et solidifiée par l’expérience.

Quelques voix, elles sont peu nombreuses, s’élèvent contre cette vision idyllique ; ont les retrouve souvent dans le monde des blogs et de l’information non standardisée.

Ainsi Paul Jorion Docteur en Sciences Sociales de l’Université Libre de Bruxelles, diplômé en sociologie et en anthropologie sociale, a créé un tel espace. Son  blog  connait un succès grandissant avec des commentateurs inventifs et productifs; des informations originales y circulent. Il a enseigné aux universités de Bruxelles, Cambridge, Paris VIII et à l’Université de Californie à Irvine. Il a également été fonctionnaire des Nations-Unies (FAO), participant à des projets de développement en Afrique.

On devrait lui accorder quelques « crédits » car dès 2004 il publiait un livre prémonitoire sur cette crise,  qui fut longtemps refusé par les éditeurs.

Paul Jorion possède une grande connaissance des États-Unis, et dans un entretien relativement récent sur France info (que je conseille d’écouter en entier en fin de note),il constate la latence des systèmes européens par rapport à ce qui se passe aux États-Unis. Il ajoute que le rôle de « l’amortisseur » très important de nos systèmes sociaux n’est pas pour rien dans cette perception retardée de ce côté de l’atlantique.

Mais sur le fond qu’en est-il ? Un accident financier ou une crise « systémique » ?

Pour lui la crise est très profonde , beaucoup plus que le laissent entendre les discours de mise actuellement. Contrairement à ce qui peut se lire et s’entendre nous sommes très loin d’en être sortis et c’est une crise de système. « L’économie véritable » dépend trop de la finance ; l’équilibre est rompu entre les salaires et la production, entre les revenus de la spéculation et ceux du travail sous toutes ces formes. « Le casino l’a emporté sur l’atelier »

Le « ménage » n’est pas fait, contrairement à ce qui s’affirme et le montant des pertes financières totales est incalculable, impossible à connaître réellement. Dans cette société de crédits, les gens capables de les rembourser seront de moins en moins nombreux. Ainsi des faillites en chaîne sont encore à redouter.

Certes le capitalisme est « robuste » et a déjà fait preuve de ses capacités d’adaptation, mais la crise est très sévère et les nationalisations rampantes deviendront la règle même non avouées, laissant l’ardoise aux contribuables. Le système financier américain lui-même est en train de disparaître sous sa forme actuelle sans qu’on ose en parler. De nouvelles bombes « cachées » sont toujours présentes et le crédit américain est complètement « plombé ». C’est la fin de quelque chose et certainement d’un capitalisme américain triomphant connu depuis la guerre : c’est un gouffre de crédits qui ne seront jamais payés.

Faut-il pour autant condamner le libre échange ? Il n’est pas condamnable en soi, mais devient une mauvaise chose quand la spéculation s’en mêle. La spéculation le mine. Ainsi la question du protectionnisme ne se pose pas véritablement. En revanche si la spéculation demeure aux niveaux atteints, la machine explosera.

La spéculation c’est un pari. Celui fait sur les prix ; c’est la création par le « joueur » d’un risque, organisé et sans fondement économique  réel : les banques deviennent de véritables « casinos » Comme chacun sait au casino très peu gagnent et beaucoup perdent ! C’est ce « jeu » qui est dangereux et pas le libre échange. L’argent qui part ainsi dans la spéculation est de la richesse retirée aux autres et les pertes pour le plus grand nombre sont ainsi énormes. Au casino c’est pareil ; le grand nombre perd pour alimenter les gains du casino d’abord et des quelques gagnants ensuite. Quand à peine1% de la population concentre 50% des richesses d’un pays, on ne peut pas dire que le système soit viable bien longtemps.

Pour Jorion, le système capitaliste est très gravement malade et il va falloir inventer autre chose. Il recommande « une nouvelle constitution économique » et sur son blog les réflexions se multiplient et s’organisent. L’interdiction des « paris » sur les variations des prix apparaît primordiale. Cette recherche et surtout son aboutissement dans les faits ne peut qu’être longue et douloureuse ; les gens ne passent pas à autre chose tant qu’ils ne sont pas totalement écœurés. Ce n’est pas encore tout à fait le cas en Europe, mais le peuple américain est en avance dans cette nausée. Il faut éviter que 80% de l’argent résultant de la production et de l’économie véritable s’évadent essentiellement sur le profit financier et bancaire, dans le terrible «jeu du pari sur le prix».

« Quand Mr. Hall spécule à la hausse du prix du pétrole, il joue pour sa banque et ses actionnaires, pour ses dirigeants, pour son bonus à lui, un tout petit peu pour les employés du rang de CitiGroup , et massivement contre la collectivité tout entière. Quand c’est le contribuable qui le paie pour jouer contre la collectivité, la contradiction apparaît en pleine lumière. Ça ne veut pas dire qu’elle n’était pas là avant : le spéculateur a toujours joué contre la collectivité, le spéculateur joue toujours « perso » contre le reste du monde. Mais quand les choses vont mal comme maintenant - excusez-moi, « quand les choses vont pseudo-bien comme maintenant », la contradiction fait la une des journaux. »

« Tel est le paradoxe de ce que nous vivons : l’obstacle à franchir est moins celui d’un système qui a été au bout de ses faiblesses, que l’ampleur de la remise en question qui doit être opéré pour qu’une alternative puisse concrètement se dessiner et par consensus l’emporter. »


C’est bien un autre système qu’il va falloir mettre en place et il est loin d’être certain que cette remise en question obtienne rapidemant le concensus dont elle a besoin pour se dérouler dans le calme. Sans ce consensus en effet, il est à craindre que l’Histoire, comme souvent, choisisse la voie des conflits très durs.

Le blog de Paul Jorion