Auteur de La Toile, un roman uniquement publié pour une lecture sur iPhone en plusieurs épisodes comme une série télé par Leezam, Florian Lafani partage avec nous son expérience et nous livre sa vision sur l’édition numérique et son utilisation au quotidien. Pour lui, cela ne fait aucun doute que le support numérique va créer de nouvelles façons de lire et d’écrire.
Florian Lafani. Crédit photo: Roman Dherbometz
Pouvez-vous nous présenter en quelques lignes votre parcours d’auteur et les œuvres majeures que vous avez publiées jusqu’à présent ?
Un soir, une nuit, j’avais environ 8 ans et, dans un accès de folie, j’ai tapé une histoire sur une de ces vieilles machines à écrire qui font du bruit à chaque impact du doigt sur la touche: le monde à l’envers.
Depuis, l’écriture ne m’a jamais vraiment quitté et s’est rappelé à moi de manière intense quand je suis entré dans le milieu de l’édition après des études de lettres classiques. Au milieu d’auteurs divers côtoyés chez Albin Michel, XO Editions et Oh! Editions, j’ai repris le fil de certaines histoires et en ai tissé de nouveaux.
La Toile est ma première publication. J’avais uniquement publié auparavant un texte dans une revue qui s’intitulait Le Corps du Texte.
J’aimerais que l’on parle de votre première expérience en tant qu’auteur qui a été directement publié en en livre numérique. D’abord, quelle est l’œuvre que vous avez publiée directement en numérique et pour quelle maison d’édition ?
J’ai écrit une série composée d’un prologue et de neuf épisodes qui
s’intitule La Toile. Empruntant tout autant aux romans-feuilletons qu’aux séries TV, j’ai essayé de proposer aux lecteurs une ambiance suffisamment intrigante pour leur donner envie de lire l’épisode suivant. Cette série a été publiée par une jeune maison d’édition numérique qui s’est lancée au mois de juin 2009 : Leezam.
Est-ce que le fait de savoir que votre manuscrit n’allait pas être publié sur un support papier a changé votre façon d’écrire ?
Ce nouveau support amène nécessairement une réflexion sur la manière d’écrire. Tout d’abord, j’ai fait l’effort d’écrire cette série directement sur un ordinateur. Ça paraît un détail et pourtant c’est important. Car on n’écrit pas de la même façon quand le texte s’affiche directement sur un écran avec une police qui n’est pas notre propre écriture. Et surtout on ne se relit pas de la même façon. Il est plus difficile de se corriger et on ne garde souvent pas trace des corrections.
J’ai ensuite pris le temps d’étudier quel était le rendu sur l’application iPhone de Leezam, notamment pour pouvoir adapter certaines présentations de personnages ou de lieux. Car la lecture sur écran possède des caractéristiques particulières.
Quelle a été votre réaction lorsque vous avez vu votre œuvre en numérique
J’ai compris à quel point le support numérique allait certainement créer de nouvelles façons de lire et d’écrire. Nous sommes au tout début. Le numérique ne va pas remplacer le livre papier mais enrichir la lecture et s’adresser de nouveaux publics, je n’en doute pas.
Comment la promotion de votre livre a-t-elle été faite ?
Leezam a utilisé divers modes de communication : mots-clés, achat d’espaces, relation presse (des articles sont parus dans Le Dauphiné Libéré, Le Télégramme, Le Courrier Picard, sur actualitte.com, numerikbook…), mais aussi Facebook, d’autant plus facilement qu’une partie de La Toile a trait à ce réseau social.
Les effets ont été très bénéfiques et immédiats. Le prologue gratuit de La Toile est resté plus de deux mois parmi les 20 applications les plus téléchargées dans la catégorie livres numériques de l’AppStore (il est actuellement 27e). Nous en sommes aujourd’hui à près de 3 000 téléchargements. Concernant les épisodes payants et/ou la saison complète, Leezam a vendu plus de 1 000 épisodes.
Quels sont, selon votre propre expérience, les avantages du numérique et les inconvénients ?
Le numérique permet de donner une visibilité à des formats courts que le papier, hormis les revues, ne peut que difficilement promouvoir, notamment pour des questions financières. Le modèle économique du numérique, malgré les attentes des lecteurs pour des prix plus bas que le papier, est encore freiné par la TVA à 19.6%. Malgré tout, il permet à l’auteur de toucher un pourcentage plus important que dans le modèle papier.
L’inconvénient reste encore pour certains supports le confort de lecture. Mais beaucoup d’amoureux du papier sont très surpris de constater qu’ils peuvent lire avec un plaisir certain sur Iphone ou Sony Reader.
Croyez-vous que le livre numérique et le développement des supports de lecture électronique vont susciter de nouvelles vocations côté lecteur et côté auteur, faire naître de nouveaux talents et de nouvelles façons d’écrire un récit ?
Sans aucun doute. L’arrivée d’un nouveau support crée de nouvelles conditions de création qui vont petit à petit faire émerger de nouvelles formes. La technologie est encore balbutiante au regard de ce qu’elle sera dans quelques années.
Est-ce que d’après-vous, les éditeurs ont conscience que la révolution du livre est en marche et sont-ils prêts à l’affronter
Pour avoir travaillé récemment dans l’édition, je dirai que les éditeurs ont conscience qu’il se passe quelque chose avec le numérique. Le contexte paraît beaucoup plus favorable qu’il y a quelques années. Mais parler de révolution est peut-être encore un peu tôt à leurs yeux. Beaucoup d’obstacles à lever sont encore présents. Je crois plus dans la création d’un nouveau marché que dans une révolution proprement dite de la lecture. Ceci étant, je ne suis pas sûr que tous les éditeurs aient anticipé ce nouveau marché et soient prêts à l’investir, le tester, en profiter à court terme, au-delà de la numérisation de leurs ouvrages pour valoriser leurs fonds. Or considérer le numérique uniquement comme un support pour des contenus existants est à mon avis une erreur.
Est-ce que le développement du livre numérique va faire évoluer les relations entre les auteurs et les éditeurs et faire naître de nouvelles façons de travailler ?
Il y aura nécessairement des évolutions d’un point de vue contractuel. Quant au travail sur le texte proprement dit, je ne suis pas certain que des changements majeurs auront lieu. On parle toujours de lecture et d’écriture. Et même si les attentes des lecteurs et les envies des auteurs vont être amenées à évoluer en fonction de ces nouveaux supports, personne ne pourra faire l’économie d’un travail sur le style, la narration, la construction d’une histoire, la correction du texte…
Que vous inspire les batailles que se livrent les Sony, Google et bientôt Apple pour numériser le maximum d’ouvrages ?
Ce n’est pas nouveau dans l’Histoire que l’idée de posséder tout le savoir attire les convoitises. Aujourd’hui, le numérique avec ses espaces virtuels quasi infinis offre une possibilité inconnue jusqu’alors. Mais il faut faire attention à ce que les livres ne deviennent pas une marchandise comme les autres. Il y a des règles à respecter. L’idée d’avoir accès à des millions d’ouvrages est séduisante. Mais il s’agit actuellement beaucoup plus de consultation que de lecture. Démocratiser la culture ne doit pas aller contre la culture.
Que vous a inspirée la récente polémique autour de la destruction à distance par Amazon d’œuvres téléchargées sur le Kindle ?
L’acte en lui-même fut non seulement préjudiciable pour les lecteurs mais encore inquiétant puisqu’il a mis à jour la puissance d’Amazon qui va bien au-delà de celle d’un simple libraire numérique. Ceci étant, cette affaire pose plus généralement la question des droits, de la propriété intellectuelle, dont il ne faut pas faire comme s’il s’agissait de vulgaires artifices pour encadrer un marché.
Sur quel projet éditorial travaillez-vous en ce moment, numérique et/ou traditionnel ?
Je suis en pleine discussion avec des éditeurs pour publier un roman en version papier. Il s’agit d’un thriller écrit avec un ami autour du thème du poker en ligne (je joue moi-même très régulièrement).
Par ailleurs, j’avance avec un ami photographe sur un projet qui mêle photos et textes. Ce sont principalement des photos en noir et blanc sur lesquelles j’essaie d’écrire de courts textes en résonnance, au-delà de l’explication ou de l’illustration. C’est un projet qui sera à même de s’adapter aussi bien en version papier que numérique. Nous sommes en train de terminer une première maquette avant de la présenter à des éditeurs.
J’écris aussi régulièrement des poèmes qui auront peut-être la chance de devenir un recueil.
Je travaille enfin sur deux ou trois idées de romans/séries que j’espère réussir à développer dans l’année qui vient. De quoi voir le temps qui vient avec espoir et ambition…