Le retour en grâce de l'information payante : un combat perdu d'avance ?

Publié le 16 août 2009 par Anthony Hamelle

Depuis quelques jours, les annonces du retour d'une information payante en ligne se sont multipliées, venant confirmer ce que l'on pressentait depuis plusieurs mois.
Citons la plus importante par le poids de son auteur, Ruppert Murdoch, patron de News Corporation (qui possède dans son giron Myspace), largement reprise par les médias anglos-saxons :
"The billionaire media mogul Rupert Murdoch suffered the indignity of seeing his global empire make a huge financial loss yesterday and promptly pledged to shake up the newspaper industry by introducing charges for access to all his news websites, including the Times, the Sun and the News of the World, by next summer." explique The Guardian notamment.


"Quality journalism is not cheap"

A l'entendre, ce n'est pas seulement la crise financière et son cortège de mauvaises nouvelles en terme de revenus publicitaires (avec une perte de 3,4 milliards de dollars cette année) qui expliquerait ce revirement : "Quality journalism is not cheap," explique Murdoch. "The digital revolution has opened many new and inexpensive distribution channels but it has not made content free. We intend to charge for all our news websites."

A lire les réactions des internautes, on ne peut pas dire qu'ils semblent être très convaincus par l'argumentation du milliardaire. Dans le même sens, le quotidien The Independent détaille la nouvelle stratégie mise en œuvre par le prestigieux Financial Times :
"Senior sources at the FT have confirmed that the group is in discussions with a number of payment
processor companies to establish a simple "one - click" procedure that would enable consumers to pay a small fee for single articles that would otherwise be available only to subscribers."


Le risque d'une information à deux vitesses

Si l'information est passée relativement inaperçue dans la torpeur estivale, elle constitue un virage à 90°  par rapport aux choix effectués il y a encore quelques mois.
En France, il semble que le même phénomène s'amorce. Alors que la tendance était depuis plusieurs mois à l'ouverture complète des contenus en ligne (avec des systèmes hybrides comme sur LeMonde.fr ou Les Echos), un revirement se dessine aujourd'hui. Alors que Médiapart avait tenté ce pari dès 2008, le Figaro a annoncé dernièrement vouloir lancer un "espace premium" avec des contenus réservés aux internautes s'étant acquittés d'un abonnement.

En réalité ce n'est pas tant des contenus spécifiques que le fait d'appartenir à un club qui fournirait la motivation première : "C'est un pari marketing sur la psychologie des lecteurs, en somme : on ne payera pas pour des contenus, mais pour être un peu V.I.P." explique par exemple Marie-Catherine Beuth. L'idée est donc plus de créer des espaces réservés en fonction des thématiques et des centres d'intérêts et de tabler sur cette dynamique d'appartenance. Un modèle qui n'est pas sans rappeler la logique initiée par... Médiapart. Les membres auront des accès privilégiés à des évènements culturels, des services...

Dans ce modèle, le journal (papier et en ligne) devient un vaisseau amiral d'une offre globale dans laquelle l'information journalistique devient le produit d'appel, la tête de gondole, d'une palette de services divers et variés.

Là encore, les réactions des lecteurs sont sans ambiguïté. On devine en particulier la crainte d'une information à deux vitesses, avec une élite en mesure de se payer une information à valeur-ajoutée, alors que le "peuple" devra se contenter d'une information "low cost", à l'image de la presse papier gratuite.

D'autres encore soulignent qu'ils sont prêts à faire l'essai, à condition que l'information premium soit vraiment de qualité, ce qui ne va pas apparemment de soi. D'autres ajoutent qu'à partir du moment où ils trouveront un contenu similaire (et les discussions et débats entre internautes que cela permet) ailleurs, ils s'en iront, révélant un faible attachement à la marque "le Figaro" 

Il est important de replacer ce virage du payant dans le contexte actuel de crise généralisée de la presse en France. Une série d'articles publiés dans Les Échos fait d'ailleurs le point sans complaisance sur "l'état d'apesanteur" des journaux français. Chiffres à l'appui, il est clair qu'aucune solution pérenne n'a été trouvée jusqu'à présent pour financer l'information dite "de qualité" (comprenez non copiée-collée à partir des dépêches AFP, AP ou Reuters).
Un constat similaire à celui fait à propos des purs players, souvent à la peine pour se financer.

Une démarche à rebours des usages actuels

On est donc à un point de rupture, et cela alors même qu'une grande majorité de consommateurs se déclarent peu disposés à payer pour quoi que ce soit sur la Toile. Une habitude prise depuis pas mal de temps déjà et qui va être compliquée à modifier.
C'est en tout cas ce que semble confirmer une étude de la Commission Européenne, analysée sur readwriteweb. Le rapport explique ainsi : "The limited willingness to pay in return for service improvements suggests that the take up of advanced content services is linked to the perception that many of these services are free or are provided in exchange for a flat rate internet connection. For many users, and especially the younger cohorts, adoption of advanced services seems to be driven by the principle of "eat as much as you can" in exchange of a fixed fee."

Si cela correspond à une tendance de fond, on peut néanmoins signaler que l'érosion du lectorat ne provient pas uniquement de ces nouveaux usages "sociaux" liés au développement d'Internet. En effet, selon cette même étude, seulement "8% of EU citizens now read online news instead of printed magazines and newspapers. This figure increases to 18% in the case of occasional online readers.".

C'est déjà beaucoup certes, mais, comme nous l'avons déjà expliqué ici, la crise actuelle, qui trouve ses racines 20 ans en arrière, ne peut être uniquement imputée à ce phénomène. Crise de légitimité, perte de confiance du lectorat, baisse inquiétante du nombre de journalistes sur le terrain, suivisme dans le traitement de l'information, ... sont autant d'éléments qui permettent de comprendre la crise globale de la presse occidentale.
A l'inverse, l'exemple récent du Daily Telegraph à propos du scandale des notes de frais du parlement britannique illustre la puissance d'attraction que représente un média qui joue son rôle de contre-pouvoir : depuis cette affaire révélée au compte-gouttes, les ventes du quotidien ont explosé...

C'est donc un nouveau virage que l'industrie des médias semble prendre, sans finalement trop savoir où cela va la mener.

Signalons cette inititative de Journalism Online qui prévoit de lancer à l'automne une plateforme payante, qui permettrait à ses abonnés d'accéder au contenu payant des sites affiliés au groupe (à savoir plus de 500 journaux et magazines, dont certains en Europe). Les mois à venir vont sans doute voir se multiplier ce genre de tentatives où médias historiques et nouveaux médias pur players, portails et agrégateurs, journalistes off et online et lecteurs/contributeurs s'associeront pour trouver des solutions viables (à l'image des accords passés entre google news et des agences de presse). C'est en tout cas ce que semble penser le stimulant Mark Cuban, dans un long billet qui pourrait faire l'objet d'un billet spécifique.