Afghanistan : les talibans sont-ils en train de gagner la guerre ? [del.icio.us]

Publié le 15 août 2009 par Philippemartin

La violence augmente à l'approche des élections, et l'intervention militaire fait débat en Angleterre et aux Etats-Unis, mais pas en France.


Familles en deuil lors du retour des cercueils de quatre soldats tués en Aghanistan à Wootton Bassett jeudi (Toby Melville/Reuters)

Le symbole est fort de l'audace croissante des talibans : un attentat mené samedi, à quelques jours d'élections présidentielles accompagnées d'une sécurité maximale, devant le quartier général de l'Otan à Kaboul. Un signe de plus que, après huit ans d'une guerre qui n'a pas épargné les civils, les Occidentaux se trouvent confrontés à une guérilla talibane qui leur donne de plus en plus de mal.

Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, le débat sur le fait de savoir si l'Otan n'a pas déjà perdu cette guerre est lancé. Mystérieusement, pas en France, où le principal engagement de l'armée française à l'étranger ne fait polémique que lorsque le nombre de pertes est trop élevé.

« Les talibans gagnent » a titré le Wall Street Journal le 10 août. Dans un entretien accordé au quotidien financier, le général Stanley McChrystal, commandant des forces américaines et de l'Otan en Afghanistan, a reconnu les difficultés des forces étrangères face au durcissement des combats dans le pays.

« Les insurgés sont plus offensifs et il faut plus de travail pour les arrêter »

Un pessimisme rapidement remis en cause aux Etats-Unis même, même si l'on s'attend à ce que le général McChrystal recommande dans les prochains jours un nouvel accroissement des effectifs américains dans ce pays.

Le journaliste et spécialiste du terrorisme, Peter Bergen, a ainsi pris sa plume pour reprocher au Wall Street Journal un titre sans rapport avec le contenu de l'interview :

« Le point de vue de McChrystal a été plus justement rendu dans un entretien accordé à USA Today, paru le même jour que l'interview du WSJ. Il dit que la guerre n'est ni perdue, ni gagnée mais que les insurgés sont plus offensifs et qu'il faut plus de travail pour les arrêter. »

Un porte-parole américain a également nuancé le titre du WSJ. Les difficultés en Afghanistan sont pourtant réelles face à des insurgés déterminés à reconquérir le pays et sa population, huit ans après avoir été chassés du pouvoir dans la foulée des attentats du 11 septembre.

« Le processus complet pourrait prendre entre trente et quarante ans »

Les déclarations d'un autre haut gradé des forces occidentales présentes en Afghanistan en rendent compte. Le général David Richards, qui prendra fin août le commandant en chef de l'armée britannique, juge que l'Otan n'a aucune chance de se retirer totalement du pays et que même si le rôle de l'armée britannique évolue, « le processus complet pourrait prendre entre 30 et 40 ans ».

De quoi plomber les Britanniques, majoritairement opposés, selon les sondages, au maintien de leurs soldats en Afghanistan après des pertes à répétition enregistrées par leurs « boys », et récemment très ému par le cas de Joe Glenton, un jeune déserteur qui a publiquement condamné la guerre dans une lettre ouverte :

« La guerre en Afghanistan ne réduit pas le risque terroriste et, loin d'améliorer la vie des Afghans, sème la mort et la désolation dans tout le pays. La Grande-Bretagne n'a rien à faire dans ce pays. » (Voir la vidéo)

Ces aveux d'échec relatif surviennent deux mois à peine après le lancement de la nouvelle stratégie américaine en Afghanistan, à la suite de la victoire de Barack Obama.

« Gagner les coeurs et les esprits » des civils ?

Après huit années de guerre pendant laquelle les combats ont fait des milliers de civils et les forces occidentales ont perdu leur image de « libérateurs », le ressentiment de la population à l'encontre des Américains a considérablement augmenté.

Barack Obama a alors annoncé vouloir « gagner les cœurs et les esprits » des Afghans afin retourner la population contre les insurgés. En clair, réduire les frappes aériennes, notamment dans les zones peuplées.

Une stratégie qui n'a pas échappé aux talibans. Ils ont remis en circulation leur petit guide de conduite du combattant islamiste, datant du mois de mai, dans lequel il est recommandé de préserver les civils pour gagner leur coeur :

« Un courageux fils de l'islam ne doit pas être sacrifié pour des cibles de moindre intérêt, ou même sans intérêt du tout. Il faut faire tous les efforts possibles pour éviter les victimes civiles. »

A l'approche de l'élection présidentielle du 20 août, les assauts des insurgés contre les « envahisseurs étrangers » se sont multipliés ; les talibans appelant même la population à prendre les armes.

Le contingent américain sur place pourrait atteindre 100 000 soldats

Les forces occidentales reconnaissent ainsi subir leur été le plus meurtrier depuis 2001. Pour le seul mois de juillet, 71 soldats étrangers, dont 41 Américains et 22 Britanniques, ont été tués. Le mois d'août n'est pas moins sanglant ; 29 soldats sont morts dont un Français, tué le 1er août.

Alors que le nord et l'ouest du pays étaient relativement stables, ces deux régions sont menacées par les talibans jusque là retranchés dans le sud du pays. Les talibans étendent leur influence dans les grandes villes. Ils ont ainsi installé leurs positions jusque dans la ville de Kandahar, profitant de l'offensive américaine dans le Hemland (selon les Etats-Unis).

Pour « lutter contre cet enlisement », le général américain Stanley McChrystal a fait part de l'urgence d'avoir de nouveaux renforts dans le pays pour reprendre la main. L'urgence : soutenir les forces canadiennes à Kandahar et sécuriser les grandes villes.

Alors que Barack Obama avait déjà décidé de doubler les effectifs et de passer ainsi de 31 000 soldats à 68 000 sur trois ans, le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, a déclaré ce jeudi ne pas exclure l'envoi de renforts supplémentaires en Afghanistan. Le contingent américain pourrait ainsi atteindre les 100 000 hommes.

L'armée afghane et la police nationale verront aussi leurs effectifs renforcés. A Kaboul, où la sécurité est assurée principalement par les Afghans, la situation est plus stable.

La peur d'un attentat démobilise les électeurs

Les 2 900 militaires français, engagés sur le territoire afghan, sont présent à l'est du pays (600 militaires français à Kapisa) et à Kaboul, où la situation s'est « améliorée ». Aucun renforcement des effectifs n'est prévu, et aucun débat n'a véritablement lieu sur la nature, sur l'ampleur, et sur les objectifs cet engagement. Silence radio, à droite comme à gauche.

Le terrain est donc libre pour la langue de bois officielle. Si le porte-parole de l'état-major des armées refuse de commenter les déclarations du général Stanley McChrystal, il assure qu'aujourd'hui « le rapport de force est à l'avantage des Français ».

« La situation est tendue dans l'est du pays, dans la province de Kapisa, mais s'explique par l'action qu'on mène depuis un an. On a repoussé les talibans dans le fond des vallées et à l'approche de l'élection dont ils essayent d'empêcher la tenue, ils attaquent.

Ils utilisent des engins explosifs improvisés pour empêcher le déplacement des troupes. Ca nous retarde mais ça ne nous empêche pas d'avancer et de protéger les civils. »

Car les Afghans demeurent les premières victimes de cette guerre. Ce jeudi 13 août, une explosion près d'un minibus dans la province du Helmand, a tué onze membres d'une même famille et, dans la province voisine de Kandahar, une autre bombe a tué trois enfants.

A quelques jours de l'élection, redoutant un regain de tension, de nombreux Afghans hésitent à aller voter et un grand nombre de bureaux de vote vont rester fermés. Une victoire pour les talibans qui ont massivement appelé au boycott de l'élection.