Mogo décrivait la villageoise sur le ton de quelqu'un qui se serait trouvé face à une Lucie éthiopio-keyanne avec des rastas synthétiques, au bord de sa rivière de la vallée du Rift , il y a trois millions d’années !
(photo : déguisement)
En regardant l’image de la petite fille, Mogo de retour d’un long séjour dans un petit village du Fouta, ne manifesta aucun enthousiasme, et osa même une dérision.
On pouvait comparer le village de Mogo, posé sur les « gorges du fleuve » à ceux décrits par un écrivain mauritanien, tragiquement disparu, il y a une vingtaine d'années. Villages aux charmes d’un autre temps. L'imagination de l'écrivain le transportait de la sinistre geôle où il croupissait, dans les village de son enfance, aux charmes d'un autre temps. Il se voyait s’asseoir sur un des nombreux îlots du fleuve, regarder frétiller une vraie carpe dans l’eau , avant de jeter sur une feuille de papier des pensées longtemps mûries dans l’ombre.
Mogo estimait qu’il ne restait plus aux fuutankoobe qu'une sorte de déguisement pour revivre leur l’authenticité. Soupirant que si la modernité avait beaucoup d’avantages, elle avait aussi englouti bien de petits charmes qu’on ne retrouvait plus dans des villages devenus des « villes en pire ».
Il rajoutait, sur un ton amer, que même s’il comprenait que les tatouages de nos parents avaient quelque chose d’archaïque, il ressentait un mal au coeur quand il apercevait sur les lieux de son enfance, le rouge à lèvre vif d’une villageoise avant même de reconnaître le visage de cette dernière.
Il le disait sur un tel ton de quelqu'un qui se serait trouvé face à une Lucie éthiopio-keyanne avec des rastas synthétiques, au bord de sa rivière de la vallée du Rift , il y a trois millions d’années !
Comme, ajoutait-t-il, de surprendre, dans cet endroit où il n’y avait plus d’oiseaux, une poule suffoquant de chaleur parce qu’elle ne trouvait ni arbre, ni arbuste sous lequel s’abriter.
C’était d’autant plus révoltant qu’il ne manquait dans ces maisons ni espace, ni eau.
La poule, continue Mogo, peut trouver son salut sous l’ombre d’une Mercedes ou de tout une autre voiture d’un émigré dans un pays lointain. La poule pourra profiter de l’ombre de ces voitures garées sur des parpaings, en attendant le prochain séjour de leurs propriétaires absents pour des années.
Moi dont la mémoire est sélective et est en quête de souvenirs du Fouta aux hivernages abondants, de sa faune et de sa flore d’antan, je préférai ne retenir de son récit que les moments de baignades dans le fleuve, les nuits au clair de lune et les veillées à la belle étoile. Des étoiles si grosses et si proches, qu’on croirait pouvoir les toucher.
Si j’ai admiré le fait que Mogo avait planté quelques dizaines d’arbres dans sa concession, je déplorais qu’il ait arraché les plantes autochtones, tels les gawdi, les jaabe ou les gijile, que l’eau destinée à ses arbres fruitiers avait fait repousser.
Je ne manquais pas de l’appeler au téléphone pour lui dire que je venais de regarder une émission sur France 2, dans laquelle un milliardaire anglais, admirateur acharné du roi Henri VIII, ( celui qui avait fait décapiter trois des ses épouses successives) , dont il est en train de rénover l’un de ses somptueux palais, affirmait que tous les arbres qu’il y replantait étaient du 16e siècle, donc de l’époque de Henri VIII.
Mogo rit. Je compris alors qu'il n’arracherait plus les jaabi, les gijili, les gawdi de sa concession… Que ces chétives plantes du sahel auraient elles aussi le droit de s’abreuver aux eaux de sa fontaine, et ne seraient plus décapitées.
Ces arbres ancestraux resteraient sur le sol de leur naissance, en attendant que l’eau du ciel arrose tous les autres arbres.
Safi Ba
le gawdi