"Analyser les Misérables, je n'y songe pas. Une fois que d'eux on a dit : C'est beau ! on n'a pas assez dit encore. Il est des œuvres qu'il est impossible de raconter, tant elles nous dépassent … Malgré leur divine harmonie, Les Misérables dépassent la portée de l'œil. Il en est d'eux comme de ces montagnes qui vous écrasent et vous anéantissent par leur effrayante grandeur; devant elles, on tremble, on a peur et on s'agenouille."Albert Glatigny, Diogène, 1862
L'exposition sur les Misérables à la Maison de Victor Hugo confirme ce jugement, cette sensation de petitesse face "au Léviathan" . Une belle exposition en deux parties. La première, centrée sur l'oeuvre elle-même, la seconde sur le contexte de l'oeuvre : manuscrits autographes, journaux, commentaires, réception de l'oeuvre...Jamais nous n'avons été aussi proche de la réalité d'une oeuvre gigantesque et extraordinaire. Les manuscrits autographes sont énormes, les corrections s'ajoutant les unes aux autres sur une même page: voici l'édification, concrète, des Misérables avec ses biffures, ses plumes usées, ses carnets et une remarquable présentation des brouillons de l'oeuvre et des corrections successives.
Cette littérature, c'est aussi le drame social et politique : Cosette, Jean Valjean, Gavroche, Fantine... autant d'univers, autant de misères. La deuxième partie de l'exposition plonge dans le Paris de l'époque. Des tableaux de Courbet, de Gérico, des gravures de Doré, des dessins de Victor Hugo lui-même viennent éclairer ce monde du XIX°: prostitués, révolutions politiques, pauvreté, misère, bagnards : tout le contexte de l'oeuvre est illustré par l'évocation de quatre grandes questions: la misère, la rédemption, l'amour et l'Histoire.
L'exposition ne tombe pas dans le vice de figer Hugo dans sa période d'après -exil. L'écriture des Misérables, commencée avant son exil, reprise après (jusqu'en 1862, date de la parution), en témoigne. C'est en exil que le mélodrame est devenu un roman social et politique. Le titre de l'exposition, "les Misérables, un roman inconnu?" réoriente la lecture. Le roman, ce n'est pas que l'invention d'un génie, mais de la chair, une époque, du temps, des rencontres, des aventures personnelles, du corps. Ce roman, c'est la parole politique qui prend la forme de la littérature, la littérature qui prend le visage de la révolution. On comprends mieux alors ce qui fait l'épaisseur de la parole de V. Hugo : dans son siècle, il a réussi à faire entendre une voix forte, celle du peuple, en même temps qu'il voulait le grandir avec un art "élitaire pour tous", celui que nous n'avons toujours par réussi à construire.
Exposition à la Maison de Victor Hugo:6, place des Vosges75004 Parisjusqu'au 1er février 2009