Le dernier film de Costa-Gavras divise la critique : d'un côté, dans le Figaroscope, on affirme que c'est un film manqué et qui passe à côté de son sujet. Comment serait-il possible qu'ils en pensent autre chose lorsqu'il s'agit d'un film qui, précisément, va à l'envers de la politique d'immigration actuelle? Libération et le canard enchaîné sont beaucoup plus enthousiastes et soulignent à quel point le film serait à projeter dans les salles dorées de l'Elysée et des ministères. La portée politique de ce film est donc évidente et guide les critiques, quand bien même elles se prétendent de pures critiques cinématographiques. C'est sans doute la première vertu de ce film que d'envisager l'immigration clandestine d'un autre point de vue que celui du "bon sens" de nos ministres. Le film a évidemment des défauts, dont un qui n'est pas négligeable: une fin trop prévisible. Une "conclusion" qui n'en est pas une, celle d'un homme qui restera sur le territoire français, perdu, seul, sans papiers, au milieu d'autres hommes, qui restera un illégitime et un étranger.
Quelques critiques reprochent au film son trop plein de bonnes intentions. Je ne partage pas cet avis. Il n'y a pas de bonnes intentions dans ce film, ni même de moralisme. Il ne s'agit pas de montrer un homme entouré de méchants. Prendre le parti d'un immigré clandestin, en faire le protagoniste d'un film n'a rien "de bons sentiments". Mais certains considèrent que seuls les bons sentiments, le manque de réalisme et la méconnaissance des situations politiques permettent ce genre de parti pris. Oui, ce film n'a rien d'objectif, et il faudrait plutôt nous en réjouir, nous qui vivons dans cettesociété consensuelle qui s'est faite à l'idée "qu'on ne peut pas accueillir tout le monde". Il s'agit d'un préjugé absurde, d'une évidence que Costa-Gavras balaye d'un revers de main. Car il pose les vrais questions. Il montre que "l'identité nationale", "l'intégration" sont des voiles qui cachent une intolérance à l'autre et qui ne trouve aucune justification.
Elias, l'étranger que certains appellent "alias", quitte la mer Egée pour aller à Paris. Personnage presque muet, drôle ou dramatique, effectue un périple à travers un club de vacances pour gens aisés, rencontre un certain nombre de personnes: routiers, couple, femmes, sdf, sans oublier nos policiers parisiens... Je passe sur toutes ses aventures, plus ou moins réalistes. Cet espèce de "road movie" oscille toujours entre gravité et légèreté, drame et burlesque. Quelques critiques, encore, ont souligné l'aspect irréaliste du film. Assurémment, la succession de déboires, de malheurs, la motivation du voyage, ne sont pas réalistes. Mais qu'importe. Ce qui compte, c'est la vérité du propos et non le réalisme, qui ne donne pas nécessairement les clefs de compréhension du réel. Un des fils conducteurs du film est la magie. Elias a rencontré un magicien excécrable mais apparemment agréable parce qu'il fait rire la galerie, et qui lui donne sa carte. Il l'invite à venir le voir à Paris s'il vient à y passer. Elias décide donc d'aller à Paris. Cette rencontre est aussi étrange qu'intéressante: il s'agit bien de montrer qu'Elias poursuit un vain rêve, un rêve de paillette. Ce magicien lui a mis de la poudre aux yeux...
Mais il ne s'agit pas du point de départ du film. Le commencement, si je puis dire, c'est la mer Egée. Elias s'y trouve dans une barque, en compagnie d'autres immigrés. Ce début est d'une importance capitale: Nous ne savons pas d'où vient Elias, ni où il va, rien ne nous est jamais dit de ses compagnons et de ses souvenirs. C'est donc bien étranger qui nous fait face, un homme qui n'a plus ni papiers, ni identité, ni mémoire. Un homme qui a tout laissé derrière lui. Tout au long du film il est presque muet, puisqu'il n'a plus de langue pour les autres. Et jusqu'au bout il restera un étranger que nous plaignons, parce qu'il se heurte à la cruauté des autres, et dont nous rions, parce qu'il est maladroit, qu'il ne comprend pas.
Quant à moi, je ne comprends pas que l'on puisse dire que ce film passe à côté de son sujet. Costa Gavras n'est pas tombé dans les deux travers les plus fréquents: l'idéalisme et le manichéisme. Bref, ce film est une fable, non un rapport ministériel, on s'en réjouit. Une fable amère et légère qui montre, pour reprendre les mots de Victor Hugo, que l'immigration "est une espèce de longue insomnie".
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