Aman iman : l'eau c'est la vie
L'eau c'est la vie. Le lait la survie.
photo A. Tambo
proverbes touareg
Au centre de la terre, des puits et des hommes
Fofomag
POÉSIE TARGUI
L'Aïr est une immense nappe phréatique
mais j'ai soif
Rhissa Rhossey Prière d'un bouzou
aquarelle A.Tambo
Souléoum Diagho
Akal n'iba'
Terre à perte de vue
A perte de vue se dessine la ligne de l'horizon / dans ses grandes plaines qui forment le Sahara. / A perte de vue la caravane perce le mystère / qui fait peur aux initiés de cette atmosphère. / A perte de vue les nomades errent dans ces terres / hostiles et tristes comme la mort au premier abord. / A perte de vue dans le lointain infini le vent ramène / le temps dans le giron des collines agrémentées / des dunes aux grains de sable fin.
A perte de vue les branches d'un acacia aux épines / dorées comme les pointes des épées des guerriers / qui luisent au soleil et s'imposent à la vue de tous / Les voyageurs même aux gerboises qui jouent avec / les crottes des brebis.
A perte de vue le temps n'existe plus, / rien que le mystère de l'oubli. / Chante l'hymne endormi depuis la nuit, perdu / dans le mirage qui fait office de mers englouties.
A perte de vue s'élèvent les tourbillons au ciel / comme si le message était parti des terres hostiles / vers les cieux où tous les regards attendent une pluie / qui donnerait vie à toute une flore et faune endormie.
A perte de vue le temps chevauche le vent vers / les cimes des horizons qui bercent l'espoir d'un jour meilleur. / A perte de vue la soif et la faim ouvrent leurs portes / à de nouvelles recrues qui ont signé leur arrêt de mort.
A perte de vue le temps s'écoule englouti par les ténèbres / de la nuit qui sont toutes les mêmes. / A perte de vue l'homme néolithique a tracé sa route / face à l'océan sans limite. 'Akal n'iba' se situe / entre deux mondes celui d'hier et celui de demain.
Aucun des deux n'est certain, l'un est passé et l'autre nous attend.
Souléoum Diagho
Les Touaregs face aux sécheresses et aux famines par Gerd Spittler
HAWAD
Sécheresse
J'ai brûlé ma tente / Sécheresse et pluie de rats / et tornade de sauterelles / n'ont pas laissé un grain-fil / dans mes greniers
Mes chèvres / je les confie au vautour borgne / Mes écrits / je les abandonne au hibou déplumé / autour duquel processionne / la chienne boiteuse tachetée / Ma raison / je la lègue à mon âne bossu / seul survivant de ma tribu
Après la fête des hyènes / peu m'importe le squelette / avec qui je partagerai la natte de poussière / dans les entrailles de la tombe
J'ignore jusqu'à quel puits / me talonneront les brûlures / Je me fous des corbeaux / qui danseront sur mon foie
Je suis ivre de délire / Les cordes qui relient ma mémoire / à son passé / sont tranchées / Les douleurs me précipitent / vers les falaises de la solitude / où les chauves-souris fêtent le deuil / des veuves
Je tournoie dans le filet des araignées / tisseuses du temps / Mon cri déchire le voile / des ténèbres de peur / Mes esprits brûlent aux flammes de la folie / Mon âme voyage sur les étincelles / vent de la flûte rompue / tonnerre de la transe / et chaînes brisées / étoiles jaillissantes / éclair foudre
Lac de lait / une brèche s'ouvre / trajet mousseux de voie lactée / Ailes du sommeil / balançoire du mirage
Hawad Caravane de la soif
Levant extrait
Au puits / sur la margelle / la fourche implorante supplie / le vide / A travers le désert / l'animal titube depuis des millénaires / dévidant un fil / du levant au couchant / du couchant au levant
La corde nourricière glisse / dans les gorges de la poulie / qui geint et épouse les pleurs de la pierre / dans les nuages vacarmes du monde assoiffé / le bœuf porteur / inlassable : recrée le mouvement / de l'archet cosmique
Le disque solaire s'est incrusté / entre les cornes / d'où jaillit la lave de l'aurore / dans le miroir de la nuit
De nouveau la puisette glisse / le long des parois abruptes du puits / vers la nappe fraîche / où elle se gorgera d'une nouvelle sève / évaporée demain à son tour / dans le gouffre du crépuscule
O percussions de l'infini / répétées par les tambours du cœurs
puits Niger Vivant
Pas d'amour extrait
O désert, la mort te séduit
Le temps s'enroule / en un seul pas / infini / Le soleil trébuche / dans l'oubli / Les ombres jaillissent / des crêtes des dunes / soudain silhouettes d'inquiétude / La caravane vagabonde / sur la musique du vide
Pas une tige / pour suspendre le regard / seules les notes du vent / qui rident les tempes du sable / où bat l'éclair-destin / Seule l'œillade d'une étoile / éblouie / dans les premiers rayons du jour
Gémissements confondus / chameaux et voyageurs / bourdon / sous les vibrations des cigales / brûlures
La brise allonge le pas / comme les pèlerins atones / exaltés par les tourbillons de l'égarement
Un voyageur crie / Où est la fourche du puits ? / Nous avons dépassé / depuis l'éclosion de l'œuf de la vie / des siècles de siècles / d'aridité / au galop des rêves / En coulant ces pas / avons-nous enterré Orion ?
Planté en tête, le guide / ivre, extasié / par le reflet débordant / des ondes écumes poussières / bruissement de la flûte / retour au campement de l'aimée
Le guide sourd chante / O compagnons d'errance / Suivons les courants / La délivrance est au-delà des mers / où se jette le torrent de nos souffles / A peine étanchée la soif s'enflamme / L'arrivée est le moment d'un autre départ / L'existence quand elle existe seulement s'anéantit
Cette marche vers le puits n'est pas le terme de notre soif
Ici naîtra une autre soif / qui cherchera le chemin des sources / où elle déposera sa soif
Hawad
sans titre A. Tambo
Testament nomade
La complainte de l'oubli extrait
Chaleur tripe fondue / calme patience de la pierre / ils ont passé une journée entière / accroupis / autour du puits / mais aucune larme n'a goutté / pas une seule gouttelette / pour mouiller le palais / d'un oisillon froissé / Le ruisseau qui courait / dans les entrailles de la terre / lézard qui caresse les paupières / du sable / a changé de parcours / ou bien s'est dissipé / aspiré par la boue séchée / dans les gerçures du néant / Absence grise / blessure béante / Au crépuscule / une vieille femme droite / comme les rênes de l'éternité / se dresse parmi la foule / et se campe sur la margelle du puits / Enfants mes enfants / revenons à nos abris / Laissons venir la nuit / elle seule apportera réponse / à nos gémissements / Et la foule dégingandée / épuisée tourne le dos / au puits / pieds raclant la poussière / Et les enfants se collent / sur la hanche des mères / chauves-souris suçant des seins / fanés et stériles / A nouveau recroquevillés / sur leurs talons / figés hébétés ils n'osent / bouger ni s'écarter de la tache / où l'ombre s'est couchée / Des yeux seulement / tendus vers le ciel / ruines guettant les nuages migrants / du Golfe de Guinée / outres gonflées d'eau / lancées à la recherche d'un refuge / vapeurs incertaines qui psalmodient / au-dessus des champs de rocailles / et de touffes roussies
Hawad
Kélélégui A. Mariko
Au Damergou, hier grenier du Niger,
Aujourd'hui les greniersdes famillessont vides.
La Terre-mère, fertile et fragile, / Partout, souffre, s'essouffleet meurt. / L'indispensableeau tombant du ciel, / Pendant des années, a fait défaut. / L'harmattan, vent du mal, vent de sable / Depuis une décennie, souffle sans arrêt, / Ensevelissant les plantes, les points d'eau, / Les villages, les jardins sous Ie sable rose. / Tristesse d'une nature morte, cependant vivante, / Désolation d'un environnement desséché / Qui se meurt, étouffé par les dunes de sable, / Les dunes de sable mouvant déchaîné, / Les dunes de L'ensablementqui tuent les champs, / Les dunes qui bravent l'intelligence del'homme, / Réduisent à néant laTerre-mère, / Les dunes devenues nos pires ennemis au Sahel / Les dunes qui coupent les routes / Les dunes qui comblent les mares / Les dunes qui tuent les cultures, enterrentles récoltes, / Les dunes, les dunes de I'ensablement / Qui, comme une malédiction divine, / S'acharnent contre le Sahel meurtri / Recouvrant d'un linceul de sable rose, / Les villages, les hameaux et les champs.
Kélélégui A. Mariko
Poèmes sahéliens en liberté
Boureima Ada
Waay Dullu ou L'étau
Raisons d'un départ
Je quittai mon père, Ie cœur serré, malgré mon désir ardent de partir. II y avait longtemps que je ne l'écoutais plus. II ne pouvait pas comprendre que pour moi, L'existence au village était désormais impossible. Durant plusieurs années consécutives, la terre, cette bonne terre dont mon père parlait avec tant de transport, était devenue une femme infidèle et stérile, une vache sans lait, un puits tari, un portefeuille vide alourdissant inutilement la poche. Qu'importe la beauté d'une épouse si elle ne peut donner d'enfant ? La terre était devenue un citron pressé et mon père et ceux de sa génération la pressaient toujours, espérant après chaque échec y extraire un petit peu de jus. Ils s'y accrochaient comme I' enfant à la mamelle de sa mère, nourrissant chaque jour I'espoir d'un bonheur qui ne venait pas, qui ne viendrait peut-être jamais.
Moi, j'en avais assez ! Assez d'avoir usé toutes mes forces ; assez d'avoir versé mon sang ; assez d'avoir pleuré au point de ne plus avoir de larmes : j'ai mis la puisette au fond du puits et elle n'a ramené que de la boue ! La terre, cette vieille terre a rompu Ie pacte qui la liait aux hommes. Moi, j'ai rompu les derniers maillons d'une chaine qui me retenait prisonnier au tronc d'un arbre devenu sans feuillage . Un jour tout neuf succède au vieux jour qui se meurt.
Boureima ADA I.N.N. Niamey 1980
Ibrahim lssa
La vie eI ses facéties
Le Sahara
Déjà chaud et flamboyant de toute sa clarté, / Le soleil parait sur la mer des flots rouges. / Nul ici n'accueille I'astre du jour, rien ne bouge ; / La nature est d'une rare âpreté. / La vie a longtemps fui ce coin deux lois maudit, / La solitude y est cauchemardesque, / La désolation terrifiante, dantesque. / Lacs et fleuves ont séché et à jamais tari. / L'enfer vert tue par son excès d'humidité/ Le Sahara lui oppose son absolue nudité, / Hallucinant tableau d'un chaos lunaire. / On est confondu devant tant de mystère; / Et c'est ainsi depuis de lointains millénaires/ Le soleil broie la face chauve de la terre.
Ibrahim lssa I.N.N. Niamey
Les trois textes précédents sont publiés dans : Anthologie de la littérature écrite nigérienne d'expression française
Moussa MAHAMADOU - Issoufou RAYALHOUNASEPIA
l'eau Fetah Kacemi
Mano DAYAK
Je suis né avec du sable dans les yeux
Le soleil épingle nos ombres sur le sable et son bouclier dévore le ciel entier.
Afin d'économiser leurs mouvements, nos chameaux avancent lentement.
Les lèvres entrouvertes, je déglutis l'air à travers l'épaisseur de mon voile.
Je dois m'habituer à cette chaleur qui dessèchema bouche et scarifie ma peau.
Je dois à tout prix oublier mes paupières enflammées, la peau de mes cuisses
irritées.
" L'homme qui boit à la cruche ne sera jamais un bon guide"
Sans cesse me revient en mémoire le proverbe que ma mère me faisait répéter. Il m'obsède et m'irrite. Dans combien de temps arriverons-nous au puits que mon père a prévu à la tombée du jour ?
Mes pensées deviennent cotonneuses. Seules les stries que le vent a laissées sur les franges des dunes servent de repères. Elles se croisent, s'entrecroisent, ondulent. Où mènent-elles ? Nulle part.
Mon père se retourne et m'adresse un regard.
- Surtout, ne t'endors pas !
Je me redresse sur ma selle. Je ne veux pas qu'il remarque ma fatigue. Je suis Mano Dayak .
" Les Touaregs ne doivent pas êtres dupes des mirages, me dit alors mon père. Sur une terre où tout est à gagner, l'illusion n'a pas sa place. Seule compte la pensée lucide car elle exige l'oubli de soi et la prudence. Bois une nouvelle gorgée d'eau et remontons en selle. Il nous reste un long chemin à faire."
Mano Dayak 1996