1/ C'est un système qui divise : tel parti contre tel parti contre tel autre, cela crée des fissures dans un tissu de relations déjà bien amoché par la mondialisation depuis 30 ans. Nombreux sont ceux qui pensent qu'au fond, il est plus sain et plus simple d'avoir un seul chef et une seule hiérarchie. Si le chef est mauvais, on le dégage. Mais le multipartisme embrouille tout.
2/ C'est une grosse hypocrisie. On le voit bien en Europe. Nous passons notre temps à courir après les valeurs de la démocratie, à nous plaindre de les voir continuellement bafouées. En réalité tout repose sur le rapport de force, les "valeurs" démocratiques sont seulement invoquées, elles sont essentiellement des prétextes. Par ailleurs, on reconnait volontiers, en occident, qu'il est légitime de se battre au nom de "son intérêt". C'est ce qui se passe. Mais de cette dichotomie entre une réalité brutale et un discours de bonne intentions nait un voile d'hypocrisie qui caractérise, entre autres, les Etats occidentaux. Cela ne convient pas du tout aux africains.
3/ Tout ce que la démocratie a apporté aux africains, concrètement, depuis qu'elle a été mise en place sur le continent, c'est une aggravation régulière de la pauvreté. On peut gloser sur les causes de cette pauvreté, mais la concomitance de ces deux réalités demeure un fait connu de tous.
4/ La démocratie est un système occidental, né en occident et adapté à notre rapport au monde. Comme nous pensons que c'est le meilleur système que l'on ait trouvé (pour nous) et comme nous dominons actuellement la planète, nous somme persuadés que c'est le meilleur système pour toute la planète. C'est encore une forme de colonialisme qui irrite, à raison, les africains.
5/ En effet la démocratie est un système politique fondé sur l'argumentation, la contre-argumentation, le pour le contre, le débat. C'est un fonctionnement qui nous ressemble, il met le mental au centre. L'Afrique fonctionne autrement.
6/ La religion du "développement", que l'on associe en général à la démocratie fait beaucoup de mal en Afrique. Toutes les ONG ou les gouvernements dont l'action consiste à amener eau courante, électricité et goudron créent dans les équilibres locaux plus de dégâts que de bienfaits. Beaucoup de petits métiers sont éliminés sans transition, la modernité fait une irruption brutale dans une société qui n'y est absolument pas préparée, qui ne le désire par nécessairement au fond, mais qui se trouve immédiatement aimantée par le brillant du produit manufacturé, par l'impression de réussite sociale, par le statut que procure l'ostentation. C'est ainsi que se développent l'avidité, la cupidité, la jalousie et la frustration. Quoiqu'il arrive, ces populations restent pauvres. Souvent davantage, même, avec des charges d'eau et d'électricité qu'avec un mode de vie traditionnel. Au fond il ne s'agit pas du tout d'aider, mais de relier des populations au marché, d'en faire de nouveaux consommateurs. Ceux-là seront les plus pauvres, les plus dépendants, et les plus frustrés. Au fil des ans, cette accumulation de frustrations engendre une violence grandissante envers les occidentaux, et aussi entre voisins.
Il ne s'agit pas de réserver ces ressources aux occidentaux. Il s'agirait de laisser l'Afrique s'approprier ces nouvelles données à sa manière, à son rythme et selon son intérêt. C'est aujourd'hui une utopie.
On le voit bien à travers cet exemple, le fossé culturel qui nous sépare des africains est immense, bien plus qu'il n'y parait.
Un réel espoir, je pense, s'était levé pour l'Afrique avec le coup d'Etat de Thomas Sankara dans la Haute-Volta des années 80. Un modèle profondément différent du nôtre a été mis en pratique pendant quatre ans. Les progrès concrets ont été considérables dans tous les domaines. Mais le nouveau régime (qui a rebaptisé son pays Burkina Faso "Le pays des hommes intègres") remettait en question la nature de ses liens avec l'occident, organisait les relations et les échanges en se plaçant sur un pied d'égalité, en considérant d'abord l'intérêt du peuple burkinabé. Mitterrand a manœuvré contre Sankara, la Côte d'Ivoire a suivi Paris (contrairement au Ghana, très proche du régime de Sankara) jusqu'à son assassinat par Blaise Compaoré, son "frère". Toute de suite, Compaoré a "corrigé la révolution" en rouvrant grand la porte aux entreprises occidentales, et en renouant les liens de la françafrique... Vu de France, on entend souvent que Sankara était un dictateur, ce qui est vrai mais totalement réducteur si toute l'histoire n'est pas contée.
Où l'on voit bien que la démocratie n'est pas une panacée...
Contentons-nous de la faire bien fonctionner chez nous, ce serait déjà beaucoup.
Raphaël Massi