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Bonheur fantôme ~ Anne Percin

Publié le 14 août 2009 par Clarabel

Rouergue, coll. La brune, 2009 - 220 pages - 16,50€

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C'est une phrase empruntée à Thoreau, dans Walden, qui dit ceci : Si un homme ne s'accorde pas avec ses semblables, c'est peut-être qu'il entend le son d'un autre tambour. Pierre, le narrateur, n'a pas trente ans et a tout quitté. Paris, son job, son amour. Il s'est enterré dans la Sarthe, a acheté une petite maison et s'est improvisé brocanteur. Il a créé autour de lui « un rempart fait de ruines, avec fortifications littéraires, fondations enfantines, tour de guet philosophique, meurtrières ironiques ». Il écrit également une biographie sur Rosa Bonheur, une peintre française, dont la vie a été éclaboussée de frasques amoureuses et de conduites excentriques.
Tout cela sent la planque à plein nez, et ça ne manque pas, on comprend très vite que l'homme fuit un passé obsédant. On saisit quelques bribes, le frère disparu, alors qu'il n'était qu'un enfant, et aussi l'amant perdu, échappé, égaré... Cette histoire avec R. n'est d'ailleurs pas finie. Elle prend même l'aspect d'une chanson répétitive, une rengaine qui va et qui vient, qui raconte l'histoire d'un amour, avec la rencontre, les bons moments, les passages euphoriques et les instants dégrisants, les coups bas, la lâcheté et la cassure.
Ce n'est pas non plus un hasard si la sérénade de Mouloudji, Fantôme de bonheur, est martelée pour faire comprendre la détresse de Pierre, son chagrin, en plus du reste.
Car c'est lui qui est parti, de son plein gré. Et R. n'est pas facile à oublier, c'est un personnage admirable, très beau, avec beaucoup de charme et de mystère. Si ce n'est pas de l'amour dans ce tas de cendres, dites-moi, ça y ressemble très fort !
« Aimer, c'est sentir vivre en soi quelqu'un qui n'est pas soi. Et si je n'étais parti que pour savoir cela ? (...) La certitude que j'ai d'aimer est le seul bien qui me semble immortel. »

En fait, le roman parle d'une reconstruction, pure et simple : Pierre est un jeune homme brisé, traumatisé par la mort de son frère à l'âge de dix ans, trop inquiet sur son avenir et sur ses sentiments, sa peur de s'attacher et d'afficher ses sentiments. Du moins, c'est l'impression qu'il me donne. J'ai trouvé son parcours long et compliqué, son introspection douloureuse. On y trouve, pêle-mêle, « une imagination délirante, un sentimentalisme exacerbé, une sensibilité maladive, le pressentiment d'une destinée d'exception et, à l'égard du frère disparu, un mélange oppressant de culpabilité et de rancune ». Pas étonnant qu'il se sente si proche d'Adèle, la fille de Victor Hugo.

J'ai aimé le roman d'une façon toute particulière et très égoïste, en fait. J'ai notamment apprécié le côté enfermé dans le dix-neuvième siècle du narrateur, comme il se décrit lui-même. Comment il parle des objets anciens, le goût du passé, l'odeur des vieux livres, les photographies, la musique, tout ça et j'en passe. J'ai été moins sensible au monsieur qui fuit ses racines et devient ermite, même si cela se révèle nécessaire pour fouiller son passé d'écorché.

Par-dessus tout, j'ai été absolument séduite par la figure de R. Limite intouchable et irréelle. C'est sans doute le principal fantôme qui hante les pages du livre. R. nous apparaît par petites doses, mais quelle présence ! On en oublie la morosité de la Sarthe, les petites campagnes tristes à pleurer, la vie recluse de Pierre, son ascétisme. Ses cauchemars, ses trouilles, aux oubliettes. Car finalement ce roman nous parle, et ce depuis le début, d'une grande et très belle histoire d'amour, avec une déclaration sublime pour solde de tout compte.

Anne Percin commet avec Bonheur fantôme son premier roman hors de son champ habituel qu'est l'écriture pour la jeunesse, cf. L'âge d'ange, que j'avais beaucoup aimé.

A noter aussi que la vie littéraire du narrateur de Bonheur fantôme a commencé en 2006 avec le roman Point de côté (éditions Thierry Magnier). 

lire le 1er chapitre sur le site de L'Humanité

pour écouter la chanson de Mouloudji :

* La citation de H.D. Thoreau, en version originale : If a man does not keep pace with his companions, perhaps it is because he hears the beat of a different drummer. (Walden)


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