Dans le premier plan, Hélène (Sandrine Bonnaire) se tient devant le miroir, attache ses cheveux sans même songer à se regarder. Hélène qui vit machinalement. Les jours se suivent et se ressemblent. Son mari (Francis Renaud) la voit sans la regarder et sa fille la méprise. Femme de ménage dans un hôtel, dans un petit village corse, son existence routinière bascule le jour où, en faisant le ménage dans une chambre, elle est fascinée par un couple d’Américains jouant aux échecs sur la terrasse. Son regard s’attarde sur la sensualité de leurs gestes et leurs regards. Et la femme de ménage discrète et effacée va se prendre de passion pour ce jeu et l’apprendre avec une inébranlable détermination, au point même d’insister auprès du mystérieux docteur Kröger (Kevin Kline), chez qui elle fait également le ménage, pour qu’il joue avec elle et lui apprenne les échecs qui vont alors devenir bien plus qu’un jeu. Une raison de vivre. Un moyen de s’émanciper. Et peut-être beaucoup plus encore…
A la luminosité envoûtante de l’île grecque de Naxos où se déroule le roman, Caroline Bottaro (aussi certainement pour des raisons pratiques) a préféré la beauté triste d’un petit village corse. Eleni devient Hélène. Mais, en Corse ou dans une île perdue des Cyclades, c’est le même sentiment d’enfermement, de solitude, de soumission. Au mari. Au destin. Au regard des autres.
Comment ne pas commencer en parlant de Sandrine Bonnaire. De dos, courbée puis droite et résolue, de face, dans son regard, dur ou conquis, dans son sourire, rare et ravageur, ses gestes, ses intonations, ses traits tirés puis illuminés, elle EST Hélène avec une justesse admirable sans en faire des tonnes, sans non plus donner l’impression de réaliser une performance. C’est d’abord grâce à elle si cette histoire est si attachante, si on la suit, captivés, sans décrocher une seule seconde. C’est ensuite grâce au choix judicieux de Kevin Kline et à leur troublante relation. Lui, d’abord, fier, imposant, blasé, misanthrope. Elle, d'abord courbée, frêle, fragile, puis réapprenant le désir et le goût d’exister par et pour soi-même. Alors que lui va peu à peu s’affaiblir et s’humaniser, il va peu à peu l’aider à se redresser, à transgresser les règles, des échecs et de la vie, l'ordre établi.
Et puis il y a les échecs dont la caméra caresse la sensualité des pièces, des gestes de ceux qui les manipulent, des regards qui s’affrontent avec une douce fièvre. Les échecs dont les règles même représentent pour Hélène une métaphore rassurante de la vie, les échecs dont la reine est la pièce la plus forte.
Sans emphase, juste appuyée de temps à autre par la musique de Nicola Piovani, la caméra accompagne avec sensibilité et sensualité le cheminement d’Hélène vers la liberté et vers la confiance en elle.
S’il fallait émettre une réserve sur cette « Joueuse », ce serait de regretter une fin un peu expéditive et peut-être un plan de trop… mais l’ensemble est suffisamment séduisant, subtile, convaincant pour nous le faire oublier et pour que je vous le recommande. Vivement.