Lire en Belgique

Par Abarguillet

Lire là où bat le cœur de l’Europe

Après un agréable périple dans les îles entre Amérique et Europe et des étapes riches et exaltantes en Islande, en Irlande et en Grande-Bretagne, nous arrivons maintenant sur le continent pour partir à la découverte du vaste champ littéraire de la vieille Europe, en commençant par la Belgique. Et, là, je devrai être particulièrement vigilant car mes amis belges, pas seulement virtuels, du site littéraire CritiquesLibres.com vont lire avec attention mes propos et ne laisser passer aucune faute, ni approximation. J’en profite donc pour leur faire un petit clin d’œil et les remercier de l’accueil qu’ils m’ont réservé au sein de leur communauté littéraire.

Nous effectuerons cette étape en forme de pèlerinage à la mémoire du grand écrivain local décédé l’an dernier, Hugo Clauss, et je vous vous proposerai les quelques lignes que j’avais écrites en cette circonstance. Mais, comme la Belgique est multilingue, je vous proposerai aussi des lectures francophones, inspirées par d’autres cieux, de Conrad Detrez qui a beaucoup voyagé et qui a même demandé la nationalité française vers la fin de sa vie et qui nous emmène au Nicaragua, de Pierre Mertens qui nous parle des Chiliens émigrés et de Jean Philippe Toussaint qui nous entraîne jusqu‘au Japon pour nous raconter une rupture bien humide. Toutefois, je regrette de ne pas avoir pu vous faire découvrir au moins un écrivain germanophone de la région d’Eupen et Malmédy, je n’en connais même pas un seul.

Le chagrin des Belges

Hugo Claus (1929 – 2008)

En forme d’hommage à Hugo Claus décédé ce jour et bien que n’ayant aucun rapport avec la Belgique même si j’aime la bière qu’on y brasse, je voudrais dire que j’ai beaucoup apprécié ce livre car Hugo a osé aborder un problème que bien peu ont eu le courage de regarder en face dans la communauté germanophone. Il suffit de se rapporter à la volée de bois vert ramassée par Martin Walser lorsqu’il a publié « Une source vive ».

Parler de l’engagement dans les mouvements nazis, du désir d’appartenir à la grande communauté germanophone réunie et de dire son mal être dans un pays bicéphale n’était pas chose très facile même en 1983. En France, l’histoire n’avait pas encore rattrapé Papon, ni Bousquet.
J’ai aimé ce livre pour le courage de l’auteur, la justesse des personnages et le ton si vivant que Claus a su donner à son récit. Il écrit des scènes d’une vérité qui, vu de loin, nous semblent d’une grande crédibilité et d’une grande justesse, plus vraies que vécues. J’ai reçu ce livre comme un véritable témoignage et j’en garde un excellent souvenir bien que je l’aie lu il y a une bonne dizaine d’années déjà.

Hugo, même s’ils ne t’ont pas donné le Nobel, tu as ta place réservée au panthéon des écrivains.

La ceinture de feu de Conrad Detrez  ( 1937 - 1985 )

Detrez situe ce roman au Nicaragua qu’il connaît bien pour y avoir séjourné comme attaché culturel, en 1979 au moment où l’insurrection générale va se déchaîner comme les volcans qui crachent leur feu tellurique. Ce roman, publié en 1982, est l’un de ces derniers car il décèdera du SIDA quelques années après seulement, en 1985. Dans ce livre, il laisse déjà percé son amertume et sa désillusion, ne croyant plus en la révolte dans laquelle il s’était résolument engagé notamment au Brésil d’où il fut exclu. « La ceinture de feu » c’est une parabole des forces terriennes qu’on ne peut endiguer et qui contraignent les hommes sous leur puissance déchaînée comme la révolte pourrait vaincre les forces des puissances dominatrices mais Detrez est désabusé, il a vu trop de violences inutiles et trop de luttes vaines. Cette parabole des volcans crachant leur lave pourrait être aussi, selon certains, comme une image de ces pays en ébullition, plein de vie et de force débordante à l’opposé de ceux de la vieille Europe où les volcans sont presque tous éteints et même morts.

Terre d’asile de Pierre Mertens  ( 1939 - ... )

Dans ce roman , contrairement au précédent, c’est l’Amérique du Sud qui vient à la Belgique car Mertens y traite le problème de l’exil à travers les tribulations d’un Chilien réfugié à Bruxelles où les tracasseries administratives liées à son accueil ne sont pas sans lui rappeler certaines pratiques du Chili de Pinochet. Dans ce récit, l’auteur évoque tous les problèmes liés à l’exil et notamment la solitude et le dépaysement. En Belgique, le héros ne rencontre que des confrères de malheur qui ont déjà trop de difficultés à résoudre leurs propres problèmes pour s’occuper de ceux des autres et des militants associatifs qui instrumentalisent ces pauvres exilés pour les faire évoluer sur un échiquier politique qu’ils ne connaissent pas et auquel ils ne comprennent rien. On retrouve dans ce roman tous les thèmes associés à l’exil des Sud Américains réfugiés en Europe mais vus cette fois par un Européen , ce qui change un peu la vision de ce problème.

Faire l’Amour de Jean-Philippe Toussaint  ( 1957 - ... )

Avec ce roman, Toussaint nous raconte la fin d’une histoire d’amour, la rupture saisie à son tout début quand tout devient inéluctable mais que tous n’est pas encore consommé. Le héros poursuit son amour qui ne l’est déjà plus tout à fait, jusque dans la nuit pluvieuse, neigeuse et froide de Tokyo pour une dernière fois faire l’amour comme pour garder le souvenir de cette liaison désormais condamnée. Un histoire banale dans la littérature mais rendue plus sensuelle et plus émouvante par un style fait de longues phrases rythmées qui créent une ambiance particulière, liquide comme la pluie du Japon et les larmes de l’héroïne.