Avez-vous déjà prêté attention aux trottoirs ?
Ils cheminent à la ville comme à la campagne.
Ils sont de bonne composition, s’adaptant au tracé des rues ainsi qu’à la construction des immeubles et des maisons.
Chez moi, il arrive par endroits, qu’après s’être allongé un bon moment, ils se redressent, comme soulevés par de petits hoquets, pour s’étrangler d’une arête de mur envahissant brutalement leur chemin !
Il faut dire qu’à la campagne ils ont déjà bien du mérite à s’installer !
Les routes elles-mêmes sont souvent cabossées, leur macadam de goudron éclaté, les graviers mal étalés. Ils doivent composer. Leurs bordures contournent, gravissent, s’estompent, se reforment plus loin, et je n’ose vous conter le dur labeur des caniveaux, qui, à leurs côtés, font tout ce qu’ils peuvent pour suivre le plus fidèlement possible l’itinéraire imposé ! Ils charrient eaux usées, pailles échappées d’une charrette, boues et autres curiosités dont la campagne a le secret…
Citadins, les trottoirs sont souvent plus larges, et bien bitumés. Les piétons ont plus d’espace pour s’y croiser.
Parfois, ils sont « aménagés », on y pose ça et là, un petit massif de fleurs approprié à la saison, ailleurs on plante un arbre, qui pour quelques années ombragera poliment, puis manquant d’espace soulèvera l’asphalte et le craquellera… Et qui croyez-vous gagnera ? Pas l’arbre, en tous cas, qu’on coupera, car d’avoir des racines il se sera rendu coupable ! Le trottoir, lui, n’en a pas, il a bien compris que pour survivre en ville, il faut être libre d’attaches, égoïste, et privilégier ses intérêts…
Ceci dit, il faut aussi comprendre que nos trottoirs n’ont pas toujours la vie facile ! Ils sont piétinés du matin au soir par des souliers pas souvent cirés et quelquefois crottés ! Et grêlés d’une acnée d’empreintes de talons aiguilles…
Et qui d’entre nous n’a pas eu le coeur soulevé à la vue d’un crachat évité de peu… Le trottoir en tous cas, en est éclaboussé sans pouvoir s’en protéger… Que cherchent donc à prouver ces cracheurs d’irrespect ?…
C’est aussi que les villageois, comme les citadins, ont des chiens… Et qu’ils ne s’embarrassent pas de l’endroit où leurs compagnons se soulagent… Remarquez qu’eux-mêmes, trop paresseux, n’ont parfois pas la décence de recourir aux sanisettes… Face au mur, comme au piquet qu’ils mériteraient, ils pissent ! Humiliés, nos trottoirs n’ont plus qu’à espérer une pluie salvatrice, ou le jet d’eau purificateur dont les employés municipaux finiront bien par les doucher, comme chaque matin, avant que tous les pisseurs ne soient même réveillés !
Les caniveaux, ont à la ville leurs propres misères.
Ils recueillent l’eau de pluie, mais aussi celle qui ruisselle quand on fait la toilette de leurs compères trottoirs, les paquets de cigarettes et les mégots que la chaussée leur renvoie, quand l’automobiliste, vitre baissée, ne trouve plus son cendrier… Des mouchoirs en papier usagés, des publicités mal arrimées sur les pare-brise des voitures stationnées, ou encore quelque contravention rageusement arrachées des essuie-glaces…
L’aviez-vous remarqué ? Même nos pays dit « civilisés » ont une propreté qui laisse à désirer !
Il faudrait que tous autant que nous sommes, nous ayons dû marcher dans la gadoue des chemins de terre et nous enfoncer dans la boue des ornières, pour qu’à la vue d’un trottoir nous nous sentions envahis d’une grande tendresse, et qu’enfin nous en prenions le plus grand soin !