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Comme une dentelle…

Publié le 07 août 2009 par Ivanoff @ivanoff

Elle nous quitte doucement, elle nous quitte à reculons…

Elle m’ouvre sa porte, son visage s’illumine  – « Ah te voilà, toi ! » -

Pour cette fois encore elle m’aura reconnue…

Les joues encore rondes d’une jeunesse lointaine, le visage enroussi quoique les années n’en aient pâlit la peau à peine flétrie, le regard bleu délavé de trop de larmes à avoir dû verser…

Un sourire en forme d’excuse quand elle parle de son âge. Faut-il que Saint-Pierre ait  tant à faire pour lui avoir laissé accumuler jusqu’ ici tant de printemps qui, sans pitié, deviennent des novembres de froidure…

Des yeux qui s’étonnent de tout, qui souvent encore s’émerveillent, des yeux aux aguets qui s’évadent parfois si loin de nos contrées, des yeux fatigués, des yeux près de bientôt se fermer…

Des mains toutes gantées de plissures, des mains comme une fine porcelaine veinée, des mains qui se tâchent d’indigo pour dénoncer la douleur, des mains tremblantes d’impuissance ou d’anxiété…

Une mémoire mariée depuis un moment au Passé, une mémoire infidèle qui ne flirte avec le Présent que pour aussitôt l’oublier…

Une mémoire en dentelle de  soie qui s’effiloche, une mémoire lassée d’elle-même qui préfère se réinventer…

Depuis quelques semaines ses cheveux sont un peu moins bien coiffés, cette coiffeuse, qui, dit-elle, se moque d’elle et lui fait n’ importe quoi…

Elle se maquille un peu, quand elle y pense, ou quand elle ne croit pas l’avoir déjà fait…

Aussi gaie qu’un pinson quand une invitation lui permet de sortir de son appartement.

Elle rentre de vacances.

François l’avait emmené à Hendaye dans la maison où il y a peu encore elle vivait avec Amédée, son deuxième mari.

Mais elle ne parle que du Pont où habitaient ses grand-parents. Elle nous raconte que la maison n’a pas changé, mais s’étonne que la famille l’ait déserté… Elle y a croisé plein de gens inconnus, cependant fort sympathiques, qui organisaient chaque jour des conférences intéressantes…

Elle se plaint qu’il y ait eut beaucoup de remue-ménage, qu’il y ait eu trop de passage, que tout ce bruit et cette agitation l’ont un peu fatiguée. Elle n’en revient pas que les grands-parents tolèrent ça… Mais déjà elle n’y attache plus d’importance, et passe à autre chose…

La plage ?

Ah oui, bien sûr elle y est allée, nous dit-elle le regard plein de questions… Mais les enfants surtout, ils étaient si contents…

Mais la plage… C’est à Hendaye, pas au Pont…

Alors elle se tait…

Le cimetière ? La tombe d’Amédée ? Elle a perdu deux maris… Jean, Amédée… Qui donc est là-bas enterré ? Non, elle n’a pas eu le temps, d’ailleurs à peine étaient-ils installés qu’il a fallut rentrer…

Non, vraiment, ce voyage était mal organisé, et le séjour bien trop court…

Quinze jours…

Elle est contrariée ce matin : tous les magasins sont fermés ! Les commerçants ne sont plus ce qu’ils étaient ! On est Dimanche ? Non ? Ah bon…

Et puis triste, parce qu’elle ne m’a pas vue depuis longtemps… La dernière fois c’était… Hier… Bien sûr, tu travailles maintenant…

Elle me regarde. L’espace d’un instant son regard s’est éteint, où s’est-elle égarée, sous quel voile d’oubli a t’elle pu cacher mon visage, son absence pèse lourd quand enfin elle me retrouve et me sourit…

La conversation s’épuise, elle pense à autre chose, et quand son regard ainsi se perd, on ne sait plus si c’est encore ici qu’elle est, ou bien dans ce monde parallèle qu’elle construit lentement  autour du nôtre…

Ma Marraine, ma tendresse… Pourquoi faut-il que le Passé s’oublie ou qu’à l’heure de bientôt se quitter, tu me vois autre et si peu à mon avantage ?

Souviens-toi, s’il te plait, souviens toi par pitié…

Comment te convaincre que je n’ai pas changé, comment te dire que ta mémoire te joue un vilain tour…

Marraine, je souffre tant de te voir t’en aller avec cette idée de moi qui ne me ressemble pas…

Marraine, ne t’en vas pas comme ça….


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